Accueil Actualités Aubert de Villaine, mission accomplie !

publié le 30 juillet 2015

Aubert de Villaine, mission accomplie !

 

Les climats viticoles des vignobles de Côte de Beaune et de Côte de Nuits sont depuis samedi dernier classés par l’UNESCO au patrimoine de l’humanité. Depuis le début du dossier, Aubert de Villaine, l’emblématique cogérant du Domaine de La Romanée-Conti, personnifiait la candidature des vignobles de Bourgogne et il nous avait donné il y a quelques mois une interview publiée dans notre numéro hors-série sur Les climats, disponible en kiosques en Côte-d’Or, et sur ce site (version papier et/ou numérique).

Commençons par le début. Qu’est un « climat » en Bourgogne, une notion qui peut prêter à confusion avec l’appellation, ou encore le lieu-dit ?

Pour simplifier, climat et lieu-dit, c’est un peu la même chose. Mais le mot lieu-dit vaut pour toute la France, alors que climat est un terme bourguignon, que l’on retrouve dans des documents notariaux dès le XVIème siècle. Il désigne une parcelle de vigne délimitée de longue date, qui porte un nom depuis des siècles, où l’on produit un vin qui a un caractère particulier. Et du fait du caractère particulier et unique du vin
produit, cette parcelle fait partie d’une hiérarchie qui est aujourd’hui celles des appellations contrôlées. Sylvain Pitiot* a réalisé un magnifique atlas dans lequel il met face à face climats et appellations. Une appellation peut se confondre avec un climat ou en regrouper plusieurs. Ici, à Vosne-Romanée, nous avons des exemples parfaits pour illustrer cela : la Romanée, c’est une appellation et un seul climat, alors que le Richebourg est constitué par deux climats, Richebourg et Véroilles, regroupés en une appellation. On trouve d’autres exemples d’appellations qui regroupent plusieurs climats : Échezeaux, Clos Vougeot, La Tâche… La philosophie bourguignonne a toujours été de revendiquer l’appellation, mais aussi de mettre en avant le climat, dans les premiers crus bien sûr et même en appellation villages. Le climat est une notion complexe : c’est le terroir, c’est-à-dire le sol et les conditions naturelles du lieu, mais aussi l’histoire, tout ce qui constitue le paysage, le bâti des vignes, des villages et des villes, la pierre calcaire que les carrières montrent à nu, et au cœur de tout cela : l’homme, son travail, sa persévérance, son entêtement à produire des vins de caractère unique avec un seul cépage à partir d’une parcelle que les siècles ont délimitée… Il faut considérer les Hommes qui se sont succédés dans l’histoire, mais aussi l’homme qui en un millésime donné y imprime sa propre volonté.

 

Le classement de l’Unesco ne concerne que la Côte-d’Or. Existe-il aussi des climats dans les autres régions viticoles bourguignonnes ?

Bien sûr ! Nous avons compris dès le départ qu’il était impossible de présenter à l’Unesco un territoire aussi vaste que celui de l’ensemble de la Bourgogne, mais nous savons parfaitement que si cette philosophie du climat existe en Côte-d’Or de façon très pointue, très raffinée, les autres régions viticoles de Bourgogne partagent cette même philosophie. Nous l’avons dit et répété : ce dossier a l’ambition de ne pas tirer vers le haut les côtes de Nuits et de Beaune seulement, mais toute la Bourgogne.

 

Quelle était la spécificité du dossier bourguignon ?

La plupart des candidatures concernent des monuments, des sites naturels et la Bourgogne n’est ni l’un, ni l’autre. C’est un site vivant qui s’est construit sur 2 000 ans et qui continue de se construire, millésime après millésime. L’idée de climat est en perpétuel mouvement et chaque année, elle évolue. Prenez par exemple le cépage unique, pinot noir ou chardonnay, qui est un élément central de la culture des climats, eh bien, pour ces deux cépages, on continue d’essayer de sauvegarder les pieds les plus fins, de sélectionner le meilleur. Au niveau du travail des sols, on cherche en permanence à améliorer les techniques. Dans les deux cas, c’est essentiel pour permettre une expression toujours plus fine des climats dans les
vins.

 

Quel travail avez-vous fait auprès des délégués de l’Unesco qui ont voté et qui proviennent parfois de pays sans culture vitivinicole ?

Notre travail a consisté à expliquer que le dossier bourguignon, c’est avant tout un dossier culturel qui est le reflet d’une culture ancienne, plus vivante que jamais, qui a eu de l’influence dans beaucoup de pays dans le monde depuis des siècles et pas seulement par ses vins. Par ailleurs, la notion de terroir est, elle, partagée par le monde entier. Que l’on parle de café, de thé, de riz, c’est ce lien à l’origine d’une production de grande qualité qui s’exprime, et avec elle la volonté d’en préserver la diversité.

 

Pensez-vous que ce classement à l’Unesco sera un outil pour protéger définitivement les climats du vignoble de Bourgogne, pour les sacraliser en quelque sorte ?

 

Après les édits des Ducs de Bourgogne, la création des AOC… qui chacun à leur époque ont voulu protéger et défendre la production la plus fine du territoire, je considère en effet qu’une inscription au patrimoine mondial est un élément fort pour faire prendre conscience aux vignerons que ce qu’ils ont entre les mains est précieux et doit être protégé. C’est une étape supplémentaire importante dans la défense des climats et de la Bourgogne. L’inscription au patrimoine mondial met aussi l’accent sur un autre aspect : la reconnaissance d’un bien précieux pour l’ensemble de l’humanité.

 

Dans une société qui vit beaucoup dans l’immédiateté, l’éphémère et souvent le superficiel, ce dossier et maintenant ce classement sont-ils en phase avec leur temps ?

Ce point est capital pour moi et tous ceux qui ont construit le dossier. Dans une époque de vitesse, de raccourcis et d’automatisation, la culture des climats réclame et nous enseigne au contraire la patience, le long terme, le travail manuel pour bien faire les choses. Le temps est essentiel aux climats et si nous ne respectons pas cette évidence, les climats céderont aux modes et la Bourgogne perdra son âme. Cette candidature est aussi une manifestation de l’importance de la diversité.
Sur un petit territoire finalement, la diversité des climats est extrême et tout ce monde-là vit en bonne intelligence. L’unité dans la diversité, c’est
aussi une leçon de la longue histoire des climats de Bourgogne. La motivation principale de mon engagement dans ce dossier a été bien sûr d’aider, en un moment donné, le nôtre, à fixer une image scientifique juste et vraie de la culture bourguignonne et à partir de cette démonstration, de dire à toute la filière : vous avez entre les mains quelque chose qui vient de loin, qui s’est construit avant vous. Vous en êtes les gardiens, vous devez préserver ce patrimoine pour le transmettre dans des conditions qui permettront à cette grande histoire de
continuer.

 

Comment les climats se sont-ils développés, affirmés au fils des siècles ?

Je crois que l’idée de préserver le pinot noir et le chardonnay en tant que cépages fins nécessaires à la haute qualité visée a été particulièrement importante. Le gamay notamment qui était plus rémunérateur a tenté d’envahir la région en de nombreuses périodes,
mais il y a toujours eu les réactions nécessaires de la part des Ducs de Bourgogne, des Rois de France, des grands propriétaires qui, tous, avaient
comme premier souci de faire de grands vins dignes de la notoriété du territoire et qui ont compris que dans notre région cela n’était possible
qu’avec le pinot noir. De même, il a toujours été très tentant de produire de grandes cuvées où l’on gomme les différences pour faire des choses plus égales en assemblant les cépages, les terroirs, les années, ce qui a pu être le cas au XXème avant la naissance des AOC. Néanmoins, à travers les époques, certains ont toujours refusé ces facilités. Leur instinct, de conservation si je peux dire, les a conduits à continuer de défendre l’idée du climat, de la vigne de taille restreinte, donnant un vin unique, qui est la vraie culture de la Bourgogne. Le balancier est en quelque sorte toujours revenu dans le bon sens, celui de la vérité, de la philosophie du climat.

 

Ces climats sont-ils aujourd’hui menacés ?

On songe aux lois prohibitionnistes, aux promoteurs immobiliers trop gourmands, à la presse qui Continue parfois de nier leur existence, au réchauffement climatique peut-être aussi.

Je crois d’abord que les « négationnistes » du terroir sont aujourd’hui largement discrédités.
Sur ce point, nous avons remporté la victoire. Je me répète : aujourd’hui tous les vignobles veulent faire des vins de terroir et les climats de
Bourgogne sont leur modèle. Je crois également que les amateurs du monde entier se mobiliseraient si certaines menaces venant des hommes agressaient les climats de Bourgogne. Quant au réchauffement climatique, on vit avec le pinot noir, qui depuis toujours impose son exclusivité pour les vins rouges fins.
C’est un cépage sensible, qui mute facilement au plan génétique. Il s’est adapté au climat septentrional de la Bourgogne avec une capacité à mûrir vite dans les dernières semaines. Il l’a fait pendant des siècles malgré bien des réchauffements et refroidissements climatiques. Je pense qu’il s’adaptera également si le réchauffement climatique actuel se confirme ou s’aggrave. Des sélections qui vont dans ce sens sont déjà en cours. Ceci étant, pourquoi fait-on des grands vins en Bourgogne ? Parce que nous sommes véritablement à un carrefour climatique avec des influences qui arrivent des quatre points cardinaux. Cela donne une climatologie difficile, avec des extrêmes, même en plein été. Pour le vigneron, c’est compliqué. Cela le rend anxieux, amène souvent l’angoisse, mais c’est le prix à payer. On ne fait des grands vins que dans la difficulté. Nos plus grands millésimes de garde sont souvent ceux qui ont le plus de difficulté à naître.

 

Le classement ne risque-t-il pas de figer la région, de la mettre sous cloche en quelque sorte, alors qu’elle est souvent taxée de conservatisme, voire d’immobilisme ?

Attention, nous voulons protéger notre culture des climats, mais nous savons également qu’elle est vivante et qu’il est impossible de la figer. C’est extrêmement important !
Les climats ne sont pas destinés à devenir un monument auquel on ne touche plus. C’est impossible, cela ne tiendrait pas longtemps. Ce que nous voulons, c’est que les acteurs de l’intérieur du site décident demain eux-mêmes, sans influences extérieures, des « armes » qu’ils voudront mettre en place pour défendre leurs climats en ce qu’ils sont. C’est tout l’esprit du plan de gestion du site des climats qui est un aspect essentiel du dossier de
candidature. Ainsi, pour ne citer que deux exemples : une procédure de site classé a été engagée pour la Côte de Nuits, afin d’étendre ce qui existe déjà pour la Côte méridionale de Beaune et des AVAP, Aire de Valorisation de l’Architecture et du Patrimoine, sont déjà en cours d’étude, parfois déjà mises en place dans de nombreux villages de la Côte. Nous promouvons également la valorisation de la Côte avec des réalisations de grande qualité en matière de médiation, comme l’exposition sur les climats au Musée de Nuits-Saint-Georges, les animations au
Musée du Vin de Beaune… Les climats ont toujours été tournés aussi vers la modernité quand elle sert leur cause, et c’est la raison pour laquelle,
Côte-d’Or Tourisme a développé une application mobile pour les découvrir en randonnée !

 

Les prix du foncier viticole ont beaucoup augmenté en Bourgogne depuis dix ans et tout particulièrement dans les grandes appellations de Côte-d’Or, celles concernées dans le dossier Unesco. Ne craignez-vous pas qu’un classement braque les projecteurs sur la Bourgogne, amène de nouveaux investisseurs potentiels et fasse empirer les choses ?

Je ne pense pas. Le problème existe déjà. Aujourd’hui, quand une transaction importante se fait en grand cru, les vignerons n’ont déjà plus les moyens d’acheter et je ne pense pas que ce classement à l’Unesco change grand-chose sur cette question très importante pour l’avenir des climats. Mais c’est un autre sujet.

 

Avez-vous appris des choses pendant ces années de constitution et de défense du dossier ?

Beaucoup, oui.
Des points historiques qui n’étaient pour moi que des mots sont devenus une réalité. Lire entièrement le panégyrique d’Eumène (Rhéteur Romain né vers 260 à Autun et mort vers 311) ou le fameux édit de Philippe Le Hardi qui, en 1395 bannit le gamay de Bourgogne, est fantastique. On se rend alors compte à quel point on s’inscrit aujourd’hui dans la continuité de quelque chose qui existe et chemine depuis très longtemps, qui est plus grand que nous et qui nous dépasse. J’espère que la candidature des climats participera à la transmission des savoir-faire et des bons usages de la
philosophie bourguignonne du vin.

 

On dit les vignerons bourguignons individualistes. Pourtant, la mobilisation a été forte depuis le début de la candidature et les oppositions finalement plutôt discrètes. Cela a été une bonne surprise pour vous ?

Le vigneron bourguignon est quelqu’un qui se plaint de ne pas être informé, ne vient pas quand on veut l’informer, mais qui finalement est plutôt bien informé. Il se plaint beaucoup, mais il suit les choses. Cette candidature concerne directement son outil de travail. Je pense que beaucoup avaient peur que la candidature aboutisse à figer les choses, mais tout le monde a compris maintenant, je l’espère, que l’objectif est de mettre en valeur, de protéger, de perpétuer et pas de bloquer. Je crois qu’au fond d’eux-mêmes, les vignerons savent qu’ils ne sont que des gardiens, des dépositaires de ce qui a été construit par les générations précédentes. C’est leur ADN. C’est pour cela que le fil conducteur de tout le travail des équipes qui se sont  mobilisés sur le plan de gestion, a été : nous avons une Valeur Universelle exceptionnelle, il faut la protéger, la défendre, mais en aucun cas la figer.

 

Propos recueillis par Christophe Tupinier

*Ancien régisseur du domaine du Clos de Tart, à Morey-Saint-Denis (21).

Les dates du dossier des climats de Bourgogne
Novembre 2006 : Lancement du dossier en novembre 2006 lors de la Vente des Vins des Hospices de Beaune.

Avril 2007 : Constitution de l’association pour l’inscription des climats du vignoble de Bourgogne au patrimoine de l’Humanité et étude de faisabilité.

Mars 2008 : Création du Comité scientifique.

Juin 2009 : Publication par les EUD (Editions Universitaires de Dijon) des contributions scientifiques validant la Valeur Universelle Exceptionnelle des Climats.

2009 : Création des commissions de gestion.

Avril 2011 : « Marche des Climats » et signature de la charte territoriale.

Juin 2013 : « Climats on the Roc » aux carrières de Comblanchien.

Janvier 2014 : La France retient officiellement la candidature des climats de Bourgogne.

4 juillet 2015 : Vote des vingt et un membres du comité du patrimoine mondial de l’Unesco.

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