Pouilly-Fuissé premier jus des Hautes de Vignes 2003 ; une grande bouteille issue d’un assemblage des premiers jus de différentes parcelles.
On l’aime ou on ne l’aime pas, mais il est sûr que Jean-Marie Guffens, vigneron dans le Mâconnais, ne laisse personne indifférent. Bourgogne Aujourd’hui lui consacre la rubrique Rencontre du numéro 170 actuellement en vente. Une interview décapante, sans langue de bois (doux euphémisme…), ponctuée d’éclats de rire, de coups de gueule et de quelques grandes bouteilles de vins blancs du Mâconnais.
Retrouvez ci-dessous quelques “morceaux chois”, ainsi que les commentaires sur un vin dégusté au cours de la discussion. Il vous reste à lire la moitié de l’interview, ainsi que les commentaires de dégustation de trois autres bouteilles.
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Alors, avec quelles règles de base avez-vous débuté ?
J’adore cette question ! Quelles règles ? Celles de ne pas savoir en ayant conscience qu’un vin blanc fait avec du chardonnay pouvait être grand. J’avais appris au lycée à désherber, à levurer… Tout ce que je ne voulais pas faire ! J’ai été bio avant tout le monde, ou presque, mais personne ne savait ce que cela voulait dire. On travaillait le sol de Chavigne avec un tracteur et un treuil, sans une goutte de désherbant. En vinification, alors que tous les vins blancs s’oxydaient, j’avais compris qu’il fallait garder toutes les bourbes et j’ai compris cela en dégustant à la fin des années 1970 chez des vignerons très connus, Coche-Dury, Comtes Lafon, dont les vins étaient tellement différents de ceux des autres ; c’était des vins blancs avec du goût, comme je les aime !
J’ai vu le Mâconnais se transformer de façon incroyable entre mes débuts et aujourd’hui ; j’ai peut-être la réputation d’avoir une tête de cochon, mais il faut dire que l’on goûtait ici des vins blancs abominables (il se met en colère) dans les années 1980 ! Il fallait se les taper ! Dans les cours des domaines, on voyait, en hiver, dix palettes d’engrais, au printemps, une palette de désherbants et avant les vendanges, quatre palettes de sucre ! Mais le pire qui est arrivé à cette région, c’est ce dollar haut qui au milieu des années 1980 a permis à des vignerons qui faisaient n’importe quoi, qui n’avaient même pas un mustimètre pour contrôler les maturités, de faire fortune ! Avec mon vieux pressoir, j’ai appris à regarder les jus et à séparer les différentes presses, alors qu’à l’époque, tous les pressoirs étaient réglés de la même façon et par les vendeurs ; les vignerons appuyaient sur « on » et « off » et voilà sans se préoccuper des acidités, des pH, de rien !
Et les rendements ? On a l’impression, à écouter certains vignerons, que tout est permis avec le chardonnay…
Il faut en parler en effet ! Le rendement est la clef de la qualité, en rouge, mais aussi en blanc. Sur les dix dernières années, le Domaine Guffens-Heynen a produit en moyenne trente-huit hectolitres par hectare.
Et dès les débuts, vous avez fait attention aux rendements ?
Vous savez, avec des vieilles vignes, sans engrais, vous ne produisez pas beaucoup. Ceci étant, vous pouvez en effet produire sans problème de bons vins blancs à 60 ou 70 hectolitres par hectare, mais vous ne faites pas du Guffens-Heynen, c’est tout ! Alors les gens se demandent pourquoi mes vins vieillissent bien, mais il n’y a pas de miracle ; c’est grâce aux petits rendements, aux pressurages, aux bourbes. Pour moi, aujourd’hui les meilleurs vins blancs de Côte-d’Or sont ceux d’Olivier Lamy, mais pourquoi ? Dans ses plantations en hautes densités, il n’y a pas beaucoup de raisins par pied de vigne et je pourrais aussi citer Jean-Marc Vincent dont les vins ont aussi beaucoup de densité. Ils sont à Saint-Aubin et Santenay, pas à Meursault ni à Puligny-Montrachet et pourtant ils font meilleur ! Alors, on s’apprécie, on échange beaucoup, mais qu’avons-nous en commun ? 500-700 grammes de raisins par pied et pas un kilo ou plus ! Je précise aussi qu’il n’y a pas un pied de vigne en sélection clonale dans mes trente-trois hectares de vignes en Bourgogne, dans le Sud de la France et à Bordeaux.
Que vous inspire le débat actuel toujours très vivace à chaque nouvelle vendange sur la maturité des vins blancs ? Faut-il vraiment récolter des raisins en maturité limite pour avoir au final des vins blancs frais ?
Bien sûr que non ! Cette année, j’ai coupé ma vigne de la cuvée de mâcon Pierreclos Juliette à 14 degrés naturels, avec un pH de 3,03 (rires). Les gens me disent : « ce n’est pas possible, tu as acidifié ! », ce qui n’est pas le cas, évidemment. Dans ces vignes, une grappe pèse 45-50 grammes et c’est tout ! En fin de maturité et je parle de la vraie maturité, le raisin se reconcentre ; le sucre, mais aussi l’acidité augmentent. Il faut prendre des risques, attendre la maturité et si je perds une année sur vingt, ce n’est pas très grave ; je gagne les dix-neuf autres. De plus, des raisins pas mûrs contiennent beaucoup de malique et c’est un acide qui ne tient pas. C’est la réduction qui tient le vin blanc dans le temps et certainement pas le SO2 ou l’acidité. Quand je vois des vignerons de Côte-d’Or vendanger quinze jours avant les autres, c’est horrible, mais ici aussi nous avons des fous furieux. En 2020, certains ont coupé des raisins à moins de 11 degrés naturels ! 11 degrés en 2020, vous vous rendez compte, il fallait le faire !!!
La minéralité est très à la mode ? Existe-t-elle ?
La minéralité, c’est une impression que l’on peut avoir en dégustant et elle est bien réelle, mais on ne peut pas la mesurer et elle n’a rien à voir avec l’acidité ni avec la tenue du vin dans le temps. D’ailleurs, je me suis rendu compte que même en blanc, ce sont les millésimes les plus chauds, donc les moins acides, qui vieillissent le mieux ; chez moi les 1983, 1985, 1989 et 1990 sont indestructibles ! Les 1987 et 1984 pas mûrs sont tous foutus !
Le réchauffement climatique n’est donc pas vraiment un problème ?
J’adore ces millésimes chauds, même si j’aime moins 2018 parce qu’il y a à la fois du volume et de la chaleur et quand il n’y a pas de chair, ce n’est pas la même chose. 2018, c’est loin d’être 2020, 2019 ou 2015 !
Vous avez déclaré dans la Revue du vin de France que les classements « sont obsolètes mais entretiennent la légende, les prix et la spéculation ». Vous n’y allez pas un peu fort ?
Je trouve que c’est très bien dit (rires). Non, on ne peut bien sûr pas prétendre que certains terroirs sont supérieurs à d’autres. Le terroir, c’est comme le soleil, une équipe de vendangeurs, un lot de fûts, une sélection clonale ou massale, une date de vendange… ce n’est qu’un aspect de la question, un paramètre, un point de vue, et c’est tout ! Et si un vigneron vendange trop tôt des vignes de clones et élève son vin dans 100 % de fûts neufs brûlés à mort, le terroir disparaît, mais le vigneron vendra quand même son bâtard-montrachet 300 euros la bouteille ! Le terroir, c’est du commerce, c’est le terroir-caisse, mais au final, le vin c’est quoi ? L’expression d’un terroir, c’est vrai, mais aussi d’un cépage, d’un millésime et surtout le fruit du travail d’un homme qui fait ses choix. Je ne crois pas au tout terroir, mais quand même ici, dans le Mâconnais, entre les différences d’altitudes, de sols, les expositions au sud, au nord, on s’amuse comme des fous. En Côte-d’Or, avec cette côte bien alignée, où tout se ressemble, je crois que je risquerais de m’emm…. (rires) !
Propos recueillis par Christophe Tupinier
Photographies : Thierry Gaudillère
Repères
1954 : Naissance en Belgique.
Septembre 1976 : Arrivée en France.
1979 : Achat des premières vignes à Pierreclos.
1980 : Première récolte.
1985 : Début de sa carrière de courtier.
1990 : Création de la maison de négoce Verget.
1991 : Achat des bâtiments à Sologny.
1997 : Achat du Château des Tourettes, à Apt (Hérault).
2000 : Achat et création du Carré des Sens revendu en 2008.
2001 : Construction d’une cave de vinification à Chablis, avec Olivier Leflaive ; cave revendue en 2005 à la maison beaunoise Louis Latour.
2016 : Achat du Château Closiot à Barsac (Gironde).
Pouilly-Fuissé Premier Jus des Hauts de Vignes 2003
« En 2003, année torride, les terroirs étaient moins marqués alors j’ai assemblé les premiers jus et les parcelles, alors qu’en 2013, année froide, tardive, où les raisins manquaient un peu de maturité, j’ai fait tout le contraire, en vendangeant en plusieurs tries. C’est un gros bazar chez moi, mais je mets sur la bouteille ce que j’ai fait dans l’optique d’obtenir chaque année la meilleure qualité et une sorte d’unité de style au-delà des millésimes », explique Jean-Marie Guffens. Issue de vignes dans Les Crays, Les Croux et La Roche, cette fantastique cuvée présente une robe dorée brillante. Arômes sensuels de fruits jaunes mûrs à point, de miel, d’épices. Bouche dense, pleine, concentrée, enrobée et qui conserve vingt ans plus tard une superbe finesse dans un millésime aussi extrême. Sublime ! « Un jour Robert Parker m’a dit : Jean-Marie, tu fais partie des trois meilleurs vinificateurs de vins blancs au monde et je lui ai répondu : tu as raison, Bob, mais c’est dommage que les deux autres soient si loin derrière (rires). Je déteste la modestie ; elle empêche d’avance en revanche il faut savoir rester humble devant la nature, la maladie, la détresse… »
15 septembre 2023
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