Nadine Gublin et Ludivine Griveau : des mains de fer dans des gants de velours

 

 

Nadine Gublin et Ludivine Grivault

Nadine Gublin et Ludivine Griveau

 

 

 

La rubrique « rencontre » du numéro 158 de Bourgogne Aujourd’hui donne la parole à deux femmes sur le devant de la scène aujourd’hui en Bourgogne ; Ludivine Griveau, régisseuse aux Hospices de Beaune et Nadine Gublin, œnologue-conseil notamment chez Jacques Prieur (Meursault). Retrouvez ci-dessous quelques extraits de cette rencontre dont il vous reste les deux-tiers à découvrir dans le magazine.

 

 

Vous occupez aujourd’hui toutes les deux des postes à responsabilités et êtes reconnues dans le monde du vin en Bourgogne. Le chemin a été difficile pour en arriver là ? Le fait d’être une femme dans un monde d’hommes a-t-il rendu les choses plus compliquées ?

NG : J’ai toujours beaucoup de mal à me positionner sur ce sujet parce que, dans mon cas, je n’ai pas du tout senti le poids d’être une femme ou rencontré des difficultés liées à ça. Cela correspond certainement à des concours de circonstances. J’ai fait mon stage de DNO dans un laboratoire d’analyses-conseils à Mâcon en 1979, aux balbutiements de l’œnologie et du suivi des domaines. Ce labo avait une grosse activité dans le Beaujolais et le Mâconnais, avec très peu de travaux automatisés. Nous étions deux pour faire ça et je suis très vite rentrée dans le vif du sujet. Je n’avais jamais pratiqué l’analyse œnologique de façon aussi intense et intensive mais j’ai aimé ça. À la fin de mon stage, l’œnologue qui était en poste est parti et le responsable m’a proposé le poste, sans a priori, femme ou homme, peu importait. Peut-être que si je n’avais pas eu de travail après mon stage, ça aurait été plus compliqué.

Après cela, un poste s’est créé chez Antonin Rodet comme deuxième œnologue, j’ai postulé et puis j’ai été choisie. La maison avait créé un laboratoire d’analyses qui lui était propre et ils avaient vraiment besoin de quelqu’un qui avait l’habitude de pratiquer l’analyse à un rythme soutenu. Mon parcours a ensuite suivi l’évolution de la maison, au fur et à mesure de ses acquisitions. Je n’ai pas le souvenir de remarques déplacées et je n’ai pas eu le sentiment de devoir faire plus parce que je n’étais pas un homme.

LG : Aujourd’hui, j’ai le sentiment que le genre féminin/masculin se lisse, en sachant que depuis toujours les promos sont mixtes. J’ai eu très peu de remarques déplacées dans ma carrière, mais quand même, j’ai ressenti la nécessité de devoir toujours prouver ou montrer plus, mais parce qu’on est les enfants des premières œnologues. C’était tellement fort au début des années 1980. Maintenant que les choses sont plus démocratisées, il y a un côté moins « exceptionnel ». Personnellement, je me sens toujours portée par l’exemple que j’ai reçu de Nadine et je crois qu’il n’y a pas un jour où je ne me nourris pas de cette force qu’elle m’a donnée.

 

Revenons-en à votre métier. Vous travaillez avec une large palette d’appellations et de terroirs. Avez-vous un favori ? Pourquoi ?

NG : La mosaïque bourguignonne est telle que c’est toujours compliqué de choisir. Une chose est sûre, c’est que lorsqu’on parle de pinot noir, les grands terroirs de la Côte de Nuits me bluffent encore aujourd’hui, par leur capacité à passer au-dessus des conditions du millésime. C’est quand même la magie de notre métier. Malgré les certitudes que l’on a sur un millésime, on se rend compte que bon ou un peu moins, ces grands terroirs prennent le pas, y compris dans millésimes moins prestigieux. Et ils ne sont pas travaillés différemment des autres crus… À un moment, et c’est ce qui nous échappe et tant mieux parce qu’on ne peut pas l’expliquer scientifiquement, il y a la magie de l’endroit qui s’exprime, particulièrement quand le vin a un peu d’âge.

LG : C’est d’autant plus compliqué de répondre à cette question précisément parce que l’on couvre une large palette d’appellations. Certes, on a la lisibilité sur cette mosaïque de terroirs, mais on la prend en pleine figure ! Le jour où cela ne nous surprend plus, où on ne s’émerveille plus devant les grappes de raisins qui arrivent dans nos cuveries, il faut faire autre chose.

J’ai une affection particulière pour la Colline des Cortons, mais c’est parce que c’est là que j’ai assis le fait de faire du vin et d’être une œnologue dans le sillage de Nadine.

 

 

En termes de style de vins, de goût de vins, vous avez évolué ?

LG : Oui, forcément, parce que l’on vieillit, on goûte beaucoup, on s’autocritique, on se remet en question.

NG : L’évolution se fait naturellement, parce que c’est très lié à la viticulture, à l’état de maturité des raisins, à ce que l’on rentre en cuverie. On a quand même beaucoup de chance depuis quelques années ! Avec des raisins de qualité, on n’a pas autre chose à penser que de faire des grands vins. Aujourd’hui, on peut se permettre d’avoir une exigence, notamment à la table de tri. On jette des raisins que l’on aurait gardés il y a quinze ans. Quand on sait que, depuis quelques années, on met des raisins presque parfaits en cuves, c’est quand même beaucoup plus confortable pour travailler.

LG : Quand on n’a plus de compromis à trouver dans l’approche de la vinification par rapport à un problème d’état sanitaire de la vendange, forcément que le style des vins s’en ressent. Si je prends le millésime 2015, mon premier aux hospices, je ferai certainement d’autres vins aujourd’hui, parce que je connais mieux les parcelles, parce que j’ai l’expérience, parce que ma base de données sera plus riche de six années supplémentaires. Si demain, vous nous donnez le millésime 2003, on saura le gérer sans problème, alors qu’on était tous paniqués !

NG : On ne travaille plus les blancs de la même façon qu’on le faisait dans les millésimes moins mûrs. On a moins besoin du travail des lies maintenant alors qu’à une période, on n’avait pas la maturité naturelle du raisin et qu’il fallait les travailler pour apporter de la texture et enrober ces vins blancs. Les rouges, en macération, ça sort tout seul.

 

 

En Bourgogne, le nombre d’entreprises qui franchissent le cap de la conversion et de la certification bio est grandissant. Qu’en est-il pour vous ?

NG : Le Domaine Jacques Prieur est en conversion depuis l’été 2020, pour une certification en 2023. C’est un aboutissement des pratiques menées à la vigne depuis vingt ans. C’est une suite logique.

LG : Le raisonnement est le même aux hospices de Beaune. Monsieur Porcheret pratiquait déjà les labours, Monsieur Masse également. En termes de travail du sol, ça fait belle lurette qu’il n’y a plus d’intrants. Roland Masse a vraiment initié le travail en bio, je continue, mais il est encore un peu tôt pour la certification. Il faut que l’on couvre un certain nombre de problématiques techniques et d’outillages, pour pouvoir se lancer. Je pense que les hommes sont prêts. C’est juste leurs machines qui ne le sont pas. Je dirige un domaine qui appartient à un hôpital, si nous, on ne donne pas l’exemple dans nos pratiques, c’est dommage.

NG : Tout cela va dans le sens de la qualité générale. Il y a la notion environnementale, le respect de la nature, la santé, mais c’est aussi une viticulture de prévention et d’observation. Les produits utilisés ne sont pas du tout les mêmes qu’en conventionnel. On se pose des questions, on regarde, on est beaucoup plus proche de ce qui nous entoure. Ça oblige le viticulteur et ses équipes à mettre les pieds dans la vigne.

 

Propos recueillis par Elisabeth Ponavoy

Photographie : Clara Gaudillère

 

 

Respect et transmission

Si la complicité est évidente entre Nadine Gublin et Ludivine Griveau, elle est aussi teintée d’un grand respect, Ludivine utilisant toujours le « vous » pour s’adresser à celle qui l’a formée (chez Antonin Rodet) et l’écoutant avec attention. Passionnées et passionnantes quand il s’agit de parler, toujours avec ferveur de leur quotidien, elles attachent toutes les deux beaucoup d’importance à la transmission de leurs savoirs. « Transmettre, c’est notre devoir, c’est une obligation ! », assure Nadine Gublin. « La viticulture est un métier lié à la nature et à l’environnement mais transformer le raisin en vin, c’est très compliqué. J’ai reçu quelqu’un il y a peu de temps qui n’est pas du tout du métier et qui aimerait apprendre. Elle avait énormément de mal à comprendre, ce qui est parfaitement normal, la vinification en rouge. J’ai dit à cette personne de venir ici et la mise en situation, en cuverie, lui a permis de mieux saisir ; tout s’est éclairé ! ». « Je me sens imprégnée du même devoir, parce que je l’ai reçu de Nadine », poursuit Ludivine. « Et elle continue de le faire. Aujourd’hui encore, j’ai bu vos paroles sur la vendange entière. Dans nos métiers, le mode de transmission est souvent oral. Je m’efforce de donner la même chance que celle que j’ai reçue. Je prends des stagiaires de tous horizons, qui étudient l’œnologie mais aussi des collégiens pour leur stage de troisième. On va aux vignes, on tire des bois, on taille, on lave des fûts, on déguste… Quand on a reçu, il faut redonner ».

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