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publié le 02 mars 2018

Henri Jayer : vigneron culte !

 

 

 

Henri Jayer a fait partie des personnalités qui ont marqué les débuts de Bourgogne Aujourd’hui.

Nous lui avions même consacré la rubrique “rencontre” du numéro 2 du magazine, début 1995. Quelques années plus tard, en décembre 2001, Henri avait organisé, pour fêter ses 80 ans, une formidable dégustation verticale de son vin “mythique” : le vosne-romanée premier cru Cros Parentoux. Voici donc l’article que nous avions consacré à l’événement et à Henri Jayer, tel qu’il avait été publié à l’époque, avec déjà les prémices de la flambée des cours dans les ventes aux enchères que nous connaissons aujourd’hui… Les notes de dégustation concernent évidemment des vins qui ont pris 17 ans depuis !

 

Henri Jayer et le Cros Parentoux

 

Un homme, un terroir

“La bouteille à 2 378,20 € ! 15 600 Francs pour les nostalgiques.

Evidemment c’est un peu cher, mais c’est pourtant ce que vaut aujourd’hui aux enchères (Christies’s, les 30 octobre et 1er novembre, à Londres et à New-York) une bouteille de vosne-romanée premier cru Cros Parentoux 90 produite par Henri Jayer. Ils ont fous ces Romains ! Il faut plutôt voir là l’implacable loi d’un marché international qui s’arrache ces bouteilles à la fois exceptionnelles et rares. Bouteilles exceptionnelles, comme l’a démontrée la fantastique dégustation verticale de Cros Parentoux (pages suivantes) organisée le 1er décembre 2001 chez Jean-Pierre Silva, à Bouilland (21). Car il est clair qu’Henri Jayer, qui vient de fêter ses 80 printemps, a été un précurseur dans la mise en place à la vigne et en cuverie de tout ce qui permet de produire de grands vins : conservation des vieilles vignes, rendements faibles, ­travail du sol, tri soigné des raisins, élevage en fût neuf, etc. Le tout dans la simplicité. Quand on lui demande comment il s’y prend pour vinifier, Henri Jayer assène toujours la même réponse : “Il suffit de mettre les raisins dans la cuve et de revenir quinze jours plus tard.” Il exagère, mais ses techniques de vinification restent néanmoins très “classiques” : quelques jours de pré-macération, deux semaines de fermentation avec remontages puis pigeages, décuvage à la tasse “avec confirmation par analyse”, élevage à 100% en fût de chêne neuf, mise en bouteille sans collage, ni filtration. Henri insiste sur deux points : le tri et la régulation des températures. “Il est essentiel de ne pas mettre de raisins pourris ou pas mûrs dans la cuve. Quant aux températures, il faut pouvoir les contrôler si besoin”, martèle le professeur, qui a largement fait des émules dans la jeune génération en vue. Rien de bien révolutionnaire donc… si ce n’est la qualité des vins.

Bouteilles rares puisque le Cros Parentoux ne couvre qu’un hectare et deux centiares, dont 71 a 77 ca appartiennent à Henri Jayer ; le reste est la propriété du domaine Méo-Camuzet (Vosne-Romanée). Une rareté qui s’est même amplifiée en 1995 avec le départ à la retraite d’Henri Jayer qui n’a conservé que 28,50 ares de Cros Parentoux, confiant les 43 a et 27 ca restant à son neveu Emmanuel Rouget. “En songeant au Cros, je me souviens d’abord du travail de titan qu’il a fallu abattre pour défoncer la parcelle. Nous avons sorti une roche qui faisait 2 m2 sur 50 centimètres d’épaisseur ; 50 explosifs ont été nécessaires pour la détruire, avant de la finir à la masse. Il ne fallait pas être fainéant.” Une autre époque ! Au-delà de l’anecdote, Henri Jayer nous révèle là la nature extrême du terroir du Cros Parentoux, où la roche calcaire affleure, à quelques centimètres sous la terre.

 

Cette minéralité naturelle, combinée à l’exposition particulière vers l’est/nord-est de la parcelle, sur le versant (Larrey) froid de la combe quimonte vers les hameaux de Concoeur et Corboin, dans une zone privilégiée (au-dessus du grand cru richebourg), explique que l’on se trouve là face à un terroir fort. Les maturités sont lentes à se faire, mais les vins y acquièrent un équilibre, une poigne et une force étonnante.

 

Christophe Tupinier

 

 

 

Naissance d’un mythe

Le Cros Parentoux d’Henri Jayer n’est plus très loin de rejoindre la romanée-conti dans les fantasmes des plus fortunés collectionneurs de vins au monde. En 1953, Henri Jayer achète sa première parcelle de Cros, 15 a et 35 ca, à Georgette Roblot pour la somme de 60 000 Francs… de l’époque. La vigne en friche est arrachée puis replantée l’année suivante. Seconde acquisition en 1957 : 40 a 60 ca, à Mme Noirot-Camuzet, pour 237 000 anciens Francs ; il s’agit là d’une friche, plantée en vigne dès 1958.

 

Troisième et dernière acquisition en 1981 : 18 a 19 ca à Gilberte Arnoux, au prix de 25 916 € ; la vigne avait été plantée en 53. Henri Jayer a vraiment commencé la mise en bouteille au domaine en 76. Jusqu’en 77, le vin du Cros Parentoux est vendu en vosne village ; “la vigne était trop jeune”, explique Henri Jayer, qui, au vu de la qualité des raisins, va décider en 78 de changer de politique. Le Cros Parentoux 78 sera un monument, suivi par beaucoup d’autres…

 

 

La dégustation

Petits ou grands millésimes, les Cros Parentoux d’Henri Jayer ont subjugué toute l’assistance par leur force et leur pureté ; ils sont bien à la hauteur de leur réputation.
Chapeau bas ! Cette dégustation verticale de vosne-romanée premier cru Cros Parentoux s’est déroulée le 1er décembre dernier à l’Hostellerie du Vieux Moulin, à Bouilland (21). Une trentaine de personnes étaient présentes : vignerons, négociants, journalistes, amateurs, etc. Les millésimes, de 1978 à 1999, sont présentés dans l’ordre ou ils ont été dégustés. Henri Jayer a donné pour chaque millésime ses rendements après tri des raisins. Les notes sur 20 tiennent compte de la valeur intrinsèque du vin, ainsi que de son potentiel de vieillissement.

 

1978 (magnum) – 19 sur 20

“Au 1er septembre personne n’aurait parié sur l’année, et puis le soleil s’est installé. La maturité s’est faite en douceur, sous le soleil de septembre-octobre avec des vendanges du 9 au 13/10”, commente Henri Jayer. Le vin est extraordinaire de jeunesse, dense et à peine évoluée. Le nez exhale des notes profondes, terriennes. En bouche, le gras et la finesse s’associent à un fond tendu, ferme, qui semble caractériser le terroir. Et quelle persistance !

22 hl/ha.

 

 

1980 – 15 sur 20
Voilà un millésime qui n’est vraiment pas resté dans les mémoires en raison de la pourriture particulièrement virulente cette année là. Tout a commencé avec une floraison étalée sur un mois, du 11 juin au 15 juillet, suivie d’un été chaotique, avec pour finir le brouillard, fin septembre, couplé à 25° de température. “Nous avons fait des essais de traitements anti-pourriture et il fallait les faire”, se réjouit Henri a posteriori. C’est ici le terroir qui s’exprime bien plus que le millésime avec beaucoup de sérieux, une trame serrée et un potentiel de garde encore étonnant.
34 hl/ha.

 

 

1982 – 14 sur 20

Un millésime très abondant pour commencer : “dans lequel il a fallu beaucoup trier les raisins pas mûrs”, explique Henri Jayer… La conséquence des rendements pléthoriques. Robe légère et évoluée. Le nez est fin, fondu, assez complexe, même s’il manque un peu d’intensité. En bouche, la force n’est évidemment pas au rendez-vous, mais le vin est suave, soyeux, fin et d’une belle longueur.43 hectolitres à l’hectare.

 

 

1985 – 16 sur 20
L’année est marquée par des extrêmes de températures : un mois de janvier glacial et un été torride. Les raisins étaient très mûrs et pourtant le vin est loin d’être lourd et évolué comme beaucoup d’autres aujourd’hui. Arômes (fruits confits, grillé, lamelle de champignon…) et saveurs suaves évoquent bien un millésime chaud et pourtant le vin conserve ce fond tendu, vif, qui lui apporte longueur, jeunesse et espérance de vie. Le tout avec beaucoup de finesse.
25 hl/ha.

 

 

1986 – 14,5 sur 20
Trouver un bon 86 est difficile, en raison de la pourriture qui a affecté le pinot noir cette année-là. Ce Cros Parentoux n’est pas un vin de matière, encore que la charpente soit solide pour l’année, mais il reste très frais, vivant, net et se caractérise pas une grande élégance.
45 hl/ha.

 

 

1987 – 13 sur 20
Les Bourguignons ont eu un peu les même conditions qu’en 1978, en moins bien… Septembre n’a pas suffit à rattraper le déficit de maturité cumulé tout au long du cycle et cela se sent. Nez très fin : caramel, épices, champignon… Le terroir ressort toujours sa fermeté, mais avec moins de chair pour enrober, pour équilibrer, que sur les précédents millésimes. Une belle finesse néanmoins.
39 hl/ha.

 

 

1988 – 16 sur 20
Nous rentrons avec ce millésime dans la catégorie des vins : “trop jeunes pour être bus aujourd’hui.” Nez grillé, fruité, qui s’élargit vite sur des nuances anisées et mentholées très fraîches. En bouche le vin est ferme, comme beaucoup de 88, mais sans la moindre agressivité. Il est simplement massif, dense, consistant, racé. Disons que c’est un beau bébé qui annonce un homme brillant.
39 hl/ha.

 

1990 – 19,5 sur 20
Nous comprenons désormais un peu mieux le cours atteint par ce millésime aux enchères chez Christie’s fin octobre 2001 (lire article principal)… 1990 est l’année idéale avec le seul bémol de rendements importants, que l’on retrouve (relativement) dans le chiffre donné par Henri Jayer. La robe est d’une densité et d’une jeunesse merveilleuse, dans les nuances rubis du pinot noir. Nez complexe, frais, dense. En bouche, le vin a tout : gras, richesse, délicatesse, ­longueur, jeunesse, sur un fond de tannins fondus et nobles. 19,5 pour chipoter et ne pas mettre 20…
40 hl/ha.

 

 

1991 – 16 sur 20
“Le seul tort de ce millésime a été de venir après 90”, commente perfidement Henri Jayer. Le style est différent de 90, mais le vin n’en est pas moins remarquable. Belle robe dense et à peine évoluée. Nez complexe qui évoque les fruits mûrs, les noyaux, dans la finesse. En bouche, la texture est charnue, fondue, suave, sur un fond fruité/confituré plein de saveurs et de plaisir. Le vin est agréable, mais une pointe de nervosité en finale indique que le bout du chemin est encore loin.
28 hl/ha.

 

 

1992 – 18 sur 20
“La sortie de raisins était abondante, mais avec beaucoup de coulure et de millerandage (petits raisins et petites baies) qui sont des facteurs de qualité”, explique Henri Jayer, qui en a tiré le meilleur pour produire des vins qui n’ont rien à voir avec le “phototype” classique -léger et déjà à boire- du millésime. Robe intense, pure. Nez fin, intense, voluptueux. On n’a pas tout à fait la longueur de 90, mais la bouche est quand même superbe de richesse, ample, dans un style charnu et suave, relevé d’une note mentholée en finale.
35 hl/ha.

 

 

1996 – 18 sur 20
Que dire, si ce n’est qu’il faudra repasser dans une dizaine d’années environ pour commencer à aborder ce vin. Il est vrai que le millésime s’y prêtait, avec ce mois de septembre sec et frais qui a concentré et durcit les vins. L’ensemble est riche, dense, comme si le vin sortait de la cuve. Un bloc, profond, harmonieux, plein, charnu, mais un bloc, dont toute la complexité reste à découvrir.
45 hl/ha.

 

 

1998 – 18,5 sur 20
Le rendement très faible s’explique par l’oïdium et un gros “coup de chaud” en août qui a grillé les faces exposées des raisins. La concentration s’exprime avec beaucoup plus d’amabilité qu’en 1996. La structure est tout aussi solide et longue, mais plus déliée, harmonieuse, ferme et suave à la fois. Voilà une nouvelle démonstration en matière de précision dans la date de cueillette du raisin.
19 hl/ha.

 

 

1999 – 18 sur 20
La côte de Nuits n’a pas été tout à fait aussi favorisée que la côte de Beaune, avec même des vendanges sérieusement pluvieuses. Le travail à la vigne a toutefois permis à Henri Jayer, et à d’autres, de passer entre les gouttes pour donner ce vin au fruité concentré, dense, pur, légèrement marqué par le boisé -le premier, le plus jeune également-, au potentiel de garde évident !
44 hl/ha.

 

 

Merci aux organisateurs

Le vin est affaire de passion, chez les producteurs comme chez les amateurs. C’est à deux ­passionnés que l’on doit l’organisation de cette exceptionnelle dégustation verticale : Paul Hayat et Jacky Rigaux. Le premier a suivi un parcours original qui l’a conduit d’études de philosophie à… la restauration. Il a installé son Parc aux Cerfs (rue Vavin, 6e arrondissement) dans d’anciens ateliers d’artistes du vieux Montparnasse. Ambiance d’habitués (éditeurs, artistes…), cuisine de grande qualité et une superbe carte des vins composée à 60% de vins de Bourgogne. Le second, psychanalyste de métier a trouvé sa seconde voie : le vin. Comprendre le lien étroit qui s’établit entre un cru, le terroir et l’homme est sa grande préoccupation. Journaliste, écrivain, Jacky Rigaux a notamment écrit un excellent ouvrage sur Henri Jayer, son “père spirituel” :

Ode aux Grands Vins de Bourgogne, éditions de l’Armançon, 16,75 €.

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