Le numéro 155 de Bourgogne Aujourd’hui vient de sortir. La rencontre de ce numéro est consacré aux trois génération de Trapet qui conduisent le domaine Bourguignon, basé à Gevrey-Chambertin et sa partie alsacienne, à Riquewihr.
Retrouvez ci-dessous des extraits de cette interview à 4 voix.
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Pierre et Louis, vous avez une double culture bourguignonne et alsacienne. Comment survit-on à cela ?
Pierre : Cela nous rend plus complexes (rires) !
Louis : Nous avons toujours été très proches de l’Alsace par maman, avec une vie à cheval entre les deux régions et ce, depuis tout petits.
Pierre : Les deux cultures viticoles ne sont pas si éloignées que cela. En Alsace, des monastères ont été propriétaires de vignes, il y a des clos, une ancienne tradition de viticulture de qualité, de terroir, de précision, qui s’est un peu perdu au profit des cuvées de masse, mais cela revient. Léonard Humbrecht a été l’un des premiers à ouvrir la voie, en mettant en valeur des lieux forts qui font des grands vins. L’Alsace nous permet d’expérimenter des choses plus facilement qu’en Bourgogne, surtout au plan viticole ; on se sent moins enfermé dans un carcan. En outre, avec plusieurs cépages à travailler, des sols très différents, c’est une école de minutie pour bien adapter les cépages et les méthodes culturales aux lieux. Tout ceci nous servira un jour en Bourgogne.
La transmission semble se faire de façon harmonieuse entre les générations chez Trapet…
Jean : Oui, jusque-là, cela ne se passe pas trop mal (rires).
Pierre : Faire confiance est la clef d’une transmission réussie. Ils nous ont envoyés en Alsace, fin 2016 pour moi et 2018 pour Louis, en nous disant « et bien maintenant, à vous de jouer ». Ils ont toujours été là, en soutien, mais sans intervenir, ce qui nous a permis d’expérimenter des choses et de progresser.
Jean-Louis, Pierre, Louis, vous avez choisi d’être vignerons, mais vous, Monsieur Trapet, avez-vous eu le choix ?
Jean : Non, mais je ne me suis pas vraiment posé la question ; et puis j’ai quand même eu la chance d’avoir des ancêtres extraordinaires.
Louis, mon arrière-grand-père, était un bourreau de travail et il a acheté sa première grande vigne, le Latricières-Chambertin en 1904. Ensuite est arrivé Arthur, son fils, qui travaillait bien à l’école et qui aurait pu devenir ingénieur, mais qui a finalement rejoint le domaine ; il a acheté le Chambertin en 1919 et ainsi de suite… Je me rappelle une anecdote. Mon père vient me chercher au lycée viticole de Beaune et il était silencieux ce jour-là, plus que d’habitude et il finit par me parler : « il faut quand même que je te dise quelque chose : tu vas arriver au domaine, alors n’oublie pas une chose : cela dépasse rarement la quatrième génération ; les trois premières construisent l’affaire et la quatrième mange tout. Tiens-le-toi pour dit ». Et la quatrième génération, c’était moi…
Les deux domaines, en Bourgogne et en Alsace, regorgent de grands crus. Pierre et Louis, j’ai lu dans une interview récente la citation suivante : « Le lieu se suffit à lui-même. Au défilé du temps passé, on peut oublier l’homme, la terre et le vin restent ». On retrouve d’ailleurs dans la plaquette du domaine la même idée : « Les hommes changent mais la terre reste ». L’homme a si peu d’importance que cela dans votre métier ?
Louis : Cela dépend à quelle échelle de temps on regarde. Sur le court terme, oui, l’homme est important par ses actions, mais sur une
échelle plus longue, on oublie vite qui était aux commandes.
Jean-Louis : Tenez, voici un cadastre (il sort une vieille carte) du Clos des Lambrays, grand cru à Morey-Saint-Denis, en 1836. Le clos était alors très morcelé ; il comptait environ 70 propriétaires et qui s’en souvient ? Personne, par contre le Clos-des-Lambrays reste le Clos-des-Lambrays.
Jean : C’est un autre sujet, mais puisque l’on parle du Clos-des-Lambrays, dont Bernard Arnault détient le quasi-monopole, je suis très inquiet de voir arriver dans nos vignobles tous ces magnats de l’industrie, de la finance…. Comment sera la Bourgogne dans quelques décennies ?
Jean-Louis : Très différente, c’est évident ! Nous avons la chance avec Pierre et Louis d’avoir des jeunes très motivés mais ce n’est pas vrai partout ; alors si des gens comme Bernard Arnault ou d’autres mettent à la tête de leurs domaines des gens passionnés, c’est déjà une bonne chose ! Le
modèle bourguignon actuel va changer, mais ce modèle basé sur un tissu serré de petits domaines familiaux est finalement une parenthèse assez récente dans l’Histoire de la Bourgogne. Il y aura d’autres évolutions à l’avenir.
Les vinifications en vendange entière sont très « tendance » en Bourgogne. Vous les pratiquez de plus en plus ?
Jean-Louis : On a commencé à s’y intéresser en 2003 et on en réalise de plus en plus. Il faut avoir une grande confiance dans ses raisins,
mais si c’est le cas, cela permet d’avoir des cinétiques de fermentations plus lentes qui apportent un surcroît de complexité et une note mentholée, fraîche, qui me plaît beaucoup, particulièrement dans des millésimes très mûrs comme 2018. En pinot noir, la vendange entière est une des réponses au réchauffement climatique.
Louis : Il est évident aussi que si le réchauffement cause des problèmes, il apporte aussi des maturités de rafles bien meilleures, ce qui est positif.
Jean-Louis : Je voulais vous faire déguster 2018, parce que c’est un millésime chaud et compliqué. En vendangeant trop tôt, les tanins n’étaient pas mûrs et une semaine plus tard, ils l’étaient trop. Il a fallu vendanger très vite, en cinq-six jours.
Pierre : Et toi papy, tu éraflais tes raisins ?
Jean : Oui, toujours, alors qu’à Volnay, en Côte de Beaune, les collègues gardaient de la vendange entière.
Jean-Louis : C’est plus au sud, plus précoce et les raisins devaient être plus mûrs.
Jean : Sans doute oui.
Vous travaillez intégralement en biodynamie depuis la fin des années 1990. On dit qu’elle permet de faire plonger les racines, d’avoir des raisins mieux équilibrés entre sucres et acidités… C’est également une réponse (au réchauffement climatique) ?
Jean : J’étais très sceptique quand il a voulu se lancer dans cette voie, mais en 2003, j’ai vu que Jean-Louis avait des vins bien mieux équilibrés que beaucoup d’autres, plus frais, et je me suis dit : quand même, la biodynamie, ce n’est pas si mal (rires).
Louis : Les échalas, la biodynamie, ce sont de vrais éléments de réponse au réchauffement climatique dans les deux régions. On peut ajouter
des semis qui, une fois fauchés, forment une sorte de paillage qui permet de garder un peu d’humidité dans les sols.
Propos recueillis par Christophe Tupinier
Photographies : Thierry Gaudillère
Repères
Trapet Bourgogne
18,5 hectares, depuis la « reprise » récente de 2,10 hectares en Côte de Beaune. Le reste est situé sur Gevrey-Chambertin et Marsannay.
Trois grands crus (quatre hectares) : Chambertin, Chapelle-Chambertin, Latricières-Chambertin.
Le domaine propose une vraie activité oenotouristique avec table d’hôtes, chambre d’hôtes et dégustations.
Trapet Alsace
14 hectares, dont 4,5 en grands crus (cinq grands crus).
www.trapet.fr
Des vignerons qui ont accompagné le domaine
Louis Trapet (1846-1916) : crée son exploitation en 1870 et la dirige jusqu’à son décès. Arthur est son fils unique.
Arthur Trapet (1872-1940) : rejoint son père au domaine vers 1885. Il le dirige entre les années 1910 et 1940. Louis est son fils unique.
Louis Trapet (1904-1992) : rejoint son père en 1919. Il gère le domaine de 1940 à 1972. Il passe la main à son fils Jean dans les années
1960. Deux enfants : Jean et Mado.
Jean Trapet (1933) : débute au domaine en 1950. Il en prend progressivement les rênes dans les années 1960 et le dirige jusqu’en 1989. Deux enfants : Jean-Louis et Marie-Bénigne.
Jean-Louis Trapet (1965) : rejoint son père au domaine en 1986. Il réalise sa première cuvée entièrement seul en 1990 et dirige le domaine depuis cette date. Deux fils : Pierre et Louis.
Pierre (1992) et Louis (1994) ont la responsabilité des vignes à Riquewihr depuis 2017.
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