La
physionomie du vignoble était complètement différente quand vous avez commencé
à travailler…
Marc
Colin :
Quand je suis arrivé en 1958, l’esprit de l’après-guerre était encore bien
présent. Les tracteurs commençaient juste à arriver. On travaillait avec l’aide
des chevaux. L’arrivée du tracteur a permis de planter des terrains réservés jusqu’alors
à la culture maraîchère.
Par conséquent, les surfaces se sont agrandies.
Bernard
Morey :
Toute la partie basse de Chassagne-Montrachet était en terre à l’époque. Dans les années 1960, il y avait encore la
possibilité d’acheter des terres facilement, plantées ou non, même des terrains
qui étaient sur la montagne et en friche depuis le phylloxera. Ça coûtait cher de replanter,
c’était du boulot, il n’y avait pas
les mêmes équipements qu’aujourd’hui. Quand on a défriché dans Les Baudines, il y avait des
gros chênes, mais toujours les ceps. On a planté une partie des Embrazées en
1961.
Bernard
Mollard :
Chez nous aussi dans les années 1960,
on a planté en Chassagne-Montrachet premier cru En Virondot.
En
cinquante ans, la
viticulture a énormément évolué. Vous avez été les témoins de tout cela.
Qu’est-ce qui vous a le plus marqué ?
Bernard
Morey :
L’arrivée de matériel performant a énormément facilité le travail, mais ce qui
a le plus changé c’est la possibilité d’acquérir des terres. Les prix d’achat
ont été multipliés de manière incroyable ! Quand on a débuté dans les
années 1960, on achetait
une ouvrée de vigne le prix de la pièce de vin qu’on récoltait sur cette
ouvrée !
Marc
Colin :
Et les gens ne se battaient pas pour l’acheter ! Mon grand-père à Gamay a
donné à la commune dans les années 1950 des parcelles qui sont en vigne aujourd’hui, pour ne plus
payer d’impôts. C’était de la friche, dont il fallait se débarrasser. À l’époque, on se déplaçait à
vélo, avec un cheval ou une brouette, donc il fallait des vignes à proximité de
la maison d’habitation. Il n’imaginait pas la valeur que ces terres pourraient
prendre un jour…
Bernard
Morey :
Aujourd’hui pour acheter une ouvrée, ça correspond plutôt à 10 ou 12 pièces de
vin, au moins… Comme disait mon père, à ce prix-là, mieux vaut en avoir à
vendre qu’à acheter !
Bernard
Mollard :
On a pu acheter des vignes tout au long de notre parcours. C’est beaucoup plus
difficile aujourd’hui. Pas impossible, mais il faut trouver un soutien. La
nouveauté, ce sont les investisseurs extérieurs au monde du vin qui arrivent.
On a certainement été la dernière génération à pouvoir acheter des vignes. J’ai
acheté quatorze ouvrées
en Morgeot en 1982, en empruntant, mais c’était faisable. Aujourd’hui… En 1983, le marché a un peu
fléchi, on s’est dit qu’on avait acheté trop cher, mais finalement c’était une
bonne affaire. Au total, j’ai dû acheter un hectare et demi de vignes.
Marc
Colin :
Maintenant, ce sont des entités assez grosses qui se vendent, un domaine en
entier. Et c’est une société qui achète tout. Il n’y a plus ce phénomène de
morcellement, où on pouvait acheter la vigne voisine de la nôtre. Cela
permettait aux domaines de s’agrandir.
Il
y a aussi eu une évolution dans le style des vins. Avez-vous suivi les modes ?
Bernard
Mollard :
Je ne pense pas non. La grande évolution qu’il y a eue, c’est la maîtrise des
températures.
Bernard
Morey :
Bernard a raison. En 1947, mon père allait à Chalon-sur-Saône pour chercher des
pains de glace qu’il mettait dans les cuves ! Les degrés étaient hauts,
c’était le seul moyen à leur disposition pour refroidir des cuves de rouge. En
blanc, on ne vendangeait pas à la cadence actuelle. C’était récolté dans des
paniers en osier, le matin, de bonne heure. Ce qui était coupé l’après-midi
restait dans la cour et les raisins étaient arrosés le soir avec l’eau du
puits, avant d’être pressés tôt le lendemain matin.
Marc
Colin :
Il ne faut pas oublier aussi le fût, qui est arrivé chez nous dans des
proportions raisonnables. Aujourd’hui, une partie de la futaille est renouvelée tous les ans. Je me
souviens que mon père faisait venir le tonnelier avant les vendanges pour qu’il
change simplement une douelle. Le tonneau en question avait vingt ou trente ans. L’arrivée
des fûts neufs a influé sur le style des vins mais aussi sur la propreté des
caves.
Bernard
Morey :
Aujourd’hui, la mode est
à la minéralité mais il y a plein de vins que l’on dit minéraux mais qui en
fait sont acides, issus de raisins qui ne sont pas mûrs, de vendanges trop
précoces. Il existe des terroirs qui ont une minéralité naturelle. Dans Les Embrazées, ce n’est pas ou
peu minéral, avec des petites terres rouges caillouteuses. En revanche dans Les Baudines, juste au-dessus,
c’est minéral, avec des argiles blanches. C’est toujours le terroir qui prend
le dessus !
R : Le domaine Marc Colin (Saint-Aubin) est aujourd’hui dirigé par deux de ses enfants, Damien et Caroline. Au domaine Marc Morey (Chassagne-Montrachet), Bernard Mollard a passé la main à sa fille Sabine. Enfin, le domaine Bernard Morey (Chassagne-Montrachet) a été partagé entre ses fils : Thomas et Vincent.
Il vous reste de les deux-tiers de la rencontre à lire dans le numéro 147 de Bourgogne Aujourd’hui. Ce numéro comprend également un dossier complet sur l’excellent millésime 2018, appellation par appellation.
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