Vous
êtes toutes les trois aux
commandes du domaine familial. Comment en êtes-vous arrivées là ?
Sophie Cinier : Je me destinais à
faire du commerce, si possible à l’export. En 1997, mes parents m’ont proposé
de reprendre l’exploitation et les vignes familiales qui étaient louées en
fermage jusque-là. À part
le foncier, il n’y avait rien. J’ai passé un BTS de viticulture/oenologie au lycée
de Davayé pour reprendre le domaine en 2000 et j’ai fait ma première
vinification en 2005, un peu frustrée de vendre mes raisins jusque-là.
Virginie Taupenot : Jeune, je ne
voulais pas faire ce métier. J’ai eu un déclic à 20 ans, quand j’étais à Tokyo.
En allant rendre visite à un importateur et en dégustant, j’ai ressenti le
manque de la Bourgogne
et à mon retour, j’ai dit
à mon père que je voulais faire une formation plus technique dans le vin. J’ai
commencé à travailler avec lui en 1996.
Lorraine Senard : Après plusieurs
expériences à l’étranger, je suis revenue au domaine en 2005. Mon père est
tombé malade la veille des vendanges donc il a fallu assurer. En 2007, il a
organisé une dégustation avec des amis et des gens du village qui ont goûté mon premier millésime. Ça
a été un moment très émouvant car devant les invités, il m’a dit « tiens, je te confie les clés ».
Il
y a une majorité d’hommes dans le monde viticole. Cela a été difficile pour l’association
de trouver sa place ?
VT : Au début, il y a eu des railleries, du
genre « tiens, il y a le MLF du vin qui se crée », mais petit à petit, la reconnaissance est
arrivée. En 2010, la Confrérie
des Chevaliers du Tastevin nous a demandé de faire une intervention pour le
chapitre des Roses. Ils nous ont fait confiance, sans demander à relire notre
discours. L’association est là aussi pour revendiquer la place des femmes dans
le milieu du vin qui n’est pas toujours simple.
SC : La phrase « je ne suis
pas féministe mais » m’insupporte. Si on défend nos valeurs, on assume. Avec tout ce qui
se passe en ce moment, on a des choses à dire, à revendiquer. Pour autant, nous ne sommes pas des
féministes des années 1970,
sans arguments. On veut simplement la reconnaissance de notre place et de notre
travail dans un milieu qui à l’origine n’était pas féminin.
Justement,
depuis quelques mois la parole des femmes s’est libérée pour dénoncer le
sexisme et même le harcèlement dont elles ont pu être victimes. Avez-vous déjà
été confrontées à cela dans votre métier ?
VT : C’est dans des situations du
quotidien que l’on vous fait ressentir que vous êtes une femme. Récemment, j’ai participé à une
formation obligatoire sur les produits phytosanitaires. Il y avait une
trentaine de personnes, des agriculteurs et des viticulteurs, et au moment du
tour de table pour se présenter, mon voisin de table a pris la parole après mon
père, sans tenir compte de moi qui était entre eux deux !
SC : Pour moi, c’est un acte manqué qui est
très révélateur. Mais il y a quand même des hommes qui se disent « je vais
faire taire mes préjugés et faire attention ».
LS : Heureusement, il y a des hommes pour qui
c’est inné et qui s’adressent d’abord à des professionnels, peu importe
leur sexe.
Propos recueillis par Elisabeth Ponavoy
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