Accueil Actualités Aubert de Villaine : le gardien du temple (seconde partie) !

publié le 13 mai 2020

Aubert de Villaine : le gardien du temple (seconde partie) !

 

 

Voici donc la suite de l’interview d’Aubert de Villaine, le cogérant du domaine de la Romanée-Conti, publiée dans le numéro 149 de Bourgogne Aujourd’hui “25 ans en Bourgogne”.

Au “menu” de cette seconde et dernière partie de la rencontre avec M. de Villaine : biologie et biodynamie, “starisation” des domaines, flambée des prix des vins, du foncier viticole, problèmes de succession, réchauffement climatique et style des vins de Bourgogne.

 

Un des faits marquants de ces 10-15 dernières années, c’est le développement rapide de la viticulture biologique et biodynamique. Comment percevez-vous cette tendance lourde ?

 

Je pense que le bio s’intègre parfaitement à la philosophie bourguignonne. La vie du sol qui nourrit la vigne est un élément essentiel dans la notion de climat, de terroir, elle est le théâtre d’une symbiose permanente, délicate et donc fragile, de millions d’éléments divers. Les molécules des produits chimiques de synthèse peuvent perturber tout cela. Les options bio me paraissent donc extrêmement justifiées, mais elles ne doivent en aucun cas être une religion ; la viticulture biologique doit servir à faire mieux et pas à se donner bonne conscience.

 

 

On entend parfois des discours un peu ésotériques autour de la biodynamie. Cela vous dérange-t-il ?

 

Nous la pratiquons au domaine, et à mon sens, elle permet entre autres d’atteindre ce que j’appellerais une finesse de maturité supplémentaire, mais c’est une biodynamie qui n’a rien de doctrinaire. Il peut y avoir des dérives ésotériques, c’est vrai, mais en Bourgogne, on ne rencontre pas de gourou ! Tous les biodynamistes que je connais la pratiquent en fonction des terroirs, de ses observations et de sa propre philosophie de producteur.
Les vignerons bourguignons sont des gens sceptiques ?Le vigneron est quelqu’un de concret, qui travaille de ses mains, qui voit le résultat de ce qu’il fait, alors il se méfie, et il ne croit que ce qu’il voit. Ce qui ne nous empêche pas d’être parfois un peu aveugles…

 

 

Quelques domaines bourguignons, dont le vôtre, sont devenus des « stars » ?

Était-ce inévitable compte tenu de la rareté des grands vins de Bourgogne à l’échelle de la consommation mondiale de vins ?

 

Si on se place du point de vue de la société qui nous entoure, on observe partout ce phénomène de « starisation » : dans le sport, la musique, le cinéma, les restaurants, la politique, etc. Le public, les médias, tout le monde réclame des stars et le vin n’y échappe pas, quoiqu’on y fasse. L’époque veut cela !
Conséquences de cette starisation, les prix des grands crus et de certains premiers crus sont devenus inabordables et des milliardaires semblent aujourd’hui prêts à toutes les folies pour acquérir non seulement ces vins, mais carrément les domaines eux-mêmes.

 

Si l’on considère que « l’âme de la Bourgogne » reste étroitement liée à la notion de petit domaine familial, cela vous inquiète-t-il ?

 

Oui, le danger, les problèmes de succession s’aggravant, c’est que de très grands groupes ou fortunes achètent petit à petit les climats les plus connus, et fassent disparaître les domaines familiaux dans des ensembles gérés comme de grandes entreprises. L’image de la Bourgogne est en effet intimement liée à cette multitude de domaines familiaux qui sont la véritable âme de la Bourgogne ! Ceci dit, prenons l’exemple du Clos des Lambrays, à Morey-Saint-Denis, racheté par la famille Arnault à une famille allemande qui l’avait elle-même acheté aux frères Saier : aucun de ces précédents propriétaires n’était Bourguignon… Si la famille Arnault gère le clos non pas comme la filiale d’un grand groupe aux moyens financiers illimités, mais dans un esprit familial et d’intégration au modèle bourguignon, comme cela a été le cas depuis des décennies, alors il n’y a aucune raison pour que ça ne marche pas.

 

Pour vous, le problème n’est donc pas celui de la nationalité de l’actionnaire, mais bien de son état esprit quand il arrive en Bourgogne ?

 

De personne et d’état d’esprit, en effet. Il ne serait pas correct de faire des jugements a priori. Attendons de voir ce que font ces nouveaux arrivants et puis c’est peut-être aussi à nous, Bourguignons, de leur expliquer qu’il ne faut pas arriver ici avec un esprit trop vorace, qu’il faut rester humble, chercher à s’intégrer à un magnifique modèle, à une culture ancienne, à la préserver et non pas à la conquérir.
Craignez-vous quand même que dans 20 ans une part importante de ces propriétés familiales ait été cédée à des investisseurs français ou étrangers ? La pression est forte dans de nombreux domaines…Des domaines ont été obligés de vendre pour des raisons qui peuvent être diverses, en général, liées au passage d’une génération à la prochaine : droits de succession trop élevés ou rachat des parts impossible pour celui ou ceux qui veulent rester à cause de la valeur du bien, ou aussi parfois personne pour reprendre un domaine où le professionnalisme est indispensable. Quant à ceux qui, uniquement pour profiter des prix actuels élevés, vendraient des vignes reçues de leurs parents et grands-parents qui ont construit un domaine à la sueur de leur front, cette idée me dérange et en plus, je pense qu’ils feraient une erreur qu’ils ne pourraient que regretter. Dix ans après avoir reçu beaucoup d’argent, on a vu tant d’exemples de deux personnes sur trois qui en avaient perdu la moitié… De plus, il me semble que la vraie vie, c’est bien plus que posséder de l’argent !

 

Changeons radicalement de sujet avec le réchauffement climatique qui rythme la vie des Bourguignons depuis 2003, avec de plus en plus de vendanges au mois d’août. Est-ce un danger ou une chance pour la Bourgogne qui dans le passé a quand même souvent connu des problèmes de maturité des raisins ?

 

Dans les années 1970, la date moyenne de vendange au domaine était le 5 octobre ; aujourd’hui, c’est autour du 15 septembre. On a gagné trois semaines, les deux tiers « grâce » au réchauffement et le dernier tiers grâce aux méthodes culturales ; c’est mon estimation toute personnelle que n’appuie aucune statistique ! Aujourd’hui, les raisins mûrissent en août, début septembre, alors que les journées sont encore chaudes et longues alors qu’avant ils mûrissaient plus lentement, en septembre, dans des conditions plus fraîches, avec un soleil moins fort. Ils mijotaient davantage. J’espère simplement que le réchauffement ne va pas imposer des canicules répétées tous les ans ; si c’était le cas, nous nous retrouverions alors tous les ans dans la configuration de ce que l’on appelait dans le passé un « grand millésime » et l’on n’aurait plus cette diversité de millésimes qui fait le charme et l’identité de la Bourgogne. Les grands millésimes « solaires » font de très beaux vins, riches, qui normalement vieillissent bien, mais puissamment, avec des arômes plus carnés que floraux. Ils évoluent très différemment de ces millésimes moins mûrs que j’aime et que tant d’amateurs de Bourgogne aiment, qui, avec le temps, développent, grâce entre autres à leur acidité, une grande élégance et des arômes plus fragiles, mais aussi plus subtils, que j’assimile souvent personnellement au parfum délicat du pétale de rose fanée.

 

Pour vous, un grand millésime bourguignon de pinot noir, ce n’est donc pas 1947, 1959, des années très chaudes, mais plutôt des années moins « parfaites » ?

 

Les deux millésimes du siècle dernier qui m’ont le plus impressionné n’ont pas une immense réputation : 1953 et 1962. Ce sont des millésimes mûrs, sans excès et qui avaient gardé beaucoup de fraîcheur, de précision. On peut se demander si 2017, qui était moins mûr, plus « normal » que 2015 et 2018 ne sera pas plus intéressant au vieillissement ? Ces dernières années, 2016 nous a fait peur à cause du gel de printemps, mais les vins sont finalement aussi concentrés que les 2015 et 2018 mais plus purs, plus précis ; je pense qu’il va peu à peu s’imposer en rouge comme le très grand millésime de ces dernières années.

 

Votre vision est-elle la même en chardonnay ?

 

En blanc, il faut faire attention à ne pas aller vers le trop « tendu » en voulant éviter la lourdeur. La Bourgogne n’a pas construit sa réputation en chardonnay sur des blancs tranchants, mais sur des vins qui ont de la fraîcheur, bien sûr, mais aussi de l’opulence, du gras. Ce n’est pas simple, surtout avec la nouvelle donne climatique, mais il va falloir trouver un équilibre à la vendange entre de belles maturités et l’acidité, pour continuer de faire des vins riches et équilibrés.

 

Ces 25 dernières années ont également été marquées par une progression qualitative fulgurante d’appellations, comme Marsannay, Saint-Aubin, Monthelie, Pouilly-Fuissé… voire de régions entières comme la Côte Chalonnaise, où vous êtes d’ailleurs propriétaire d’un domaine depuis 1973. Cela vous a-t-il étonné ?

 

En ce qui concerne la Côte Chalonnaise où j’ai beaucoup de mon cœur pour y avoir vécu et fait du vin pendant près de 50 ans, on peut dire qu’elle a été entraînée dans la même dynamique positive que la Côte-d’Or, avec laquelle il faut dire qu’elle fait géographiquement corps ; il y a donc eu une forme de progression logique, presque mécanique… mais il est possible de faire encore bien mieux. Les vignerons le savent bien. Beaucoup de vignes productives ont été plantées dans les années 1960, 1970 ; beaucoup ont été arrachées et replantées mais il reste du travail à faire ! J’avoue aussi que cela m’ennuie de voir des vignes vendangées à la machine. Quand on veut faire un vin qui exprime le vrai caractère d’un terroir, la main de l’homme est essentielle et le tri à la vendange est le dernier geste manuel où l’on peut avoir une action déterminante sur la qualité du raisin amené en cuverie. Même bien menée, la machine ne peut pas faire un travail équivalent à celui de l’homme, pour le moment au moins, en attendant l’ère des robots intelligents (dont l’intelligence ne peut qu’être mise en doute…).Pour ces secteurs qui étaient peu connus du public dans les années 1960, sauf bien sûr Pouilly-Fuissé, cette progression qualitative est allée de pair avec une notoriété grandissante. La qualité crée le marché et vice versa. C’est un cycle vertueux. Et puis, on voit des vignobles comme Pouilly-Fuissé qui vont faire reconnaître leurs meilleurs coteaux en premiers crus. La dynamique actuelle va, je pense, dans le sens de donner peu à peu une identité à de plus en plus de climats, y compris d’ailleurs dans les appellations régionales. En Bourgogne Côte Chalonnaise comme dans la nouvelle appellation Bourgogne Côte-d’Or, il existe beaucoup de climats qui se distinguent les uns des autres, tout autant qu’en appellations villages ou premiers crus.

 

Que souhaitez-vous pour la Bourgogne ?

 

Tout simplement qu’elle s’entête à préserver et transmettre ce qu’elle a reçu…

 

 

Repères 

Quelques dates importantes dans la vie d’Aubert de Villaine

 

1965 : Mon arrivée au Domaine de la Romanée-Conti.

1973 : Acquisition du domaine de Bouzeron, en Côte Chalonnaise.

1976 : Arrivée de la première table de tri au Domaine.

1977 : L’INAO reconnait l’AOC Bourgogne Aligoté Bouzeron.

1985 : La biologie au Domaine de la Romanée Conti et  à Bouzeron.

1990 : l’INAO reconnait l’AOC Bourgogne Côte Chalonnaise.

1995 : Début du travail au cheval sur 6 hectares du Domaine, dont la Romanée-Conti et le Montrachet.

1995 : Création du GEST (Groupement d’étude et de suivi des terroirs) par un groupe de viticulteurs.

1997 : L’INAO reconnait l’appellation-village Bouzeron issue à 100% du cépage aligoté.

2006 : La biodynamie au Domaine de la Romanée-Conti.

2006 : Création de l’Association pour la Sauvegarde de la Diversité des Cépages de Bourgogne. 2006 : Création de l’association pour l’inscription des Climats du vignoble de Bourgogne sur la liste du Patrimoine mondial et décision de présenter la candidature à l’Unesco.

2015 : Le 4 juillet à Bonn, inscription des Climats du vignoble de Bourgogne sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco.

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