Le vin est objet de culture. Qui mieux que l’animateur d’Apostrophes ou de bouillon de culture pouvait le proclamer aussi fort ! Retrouvez ci-dessous la Rencontre avec Bernard Pivot publiée dans le numéro 73 (décembre 2006) de Bourgogne Aujourd’hui à l’occasion de la sortie de son « dictionnaire amoureux du vin » (Plon).
Vous aimez à rappeler que le vin a jalonné votre vie. Expliquez nous.
Je me suis retrouvé à Quincié-en-Beaujolais, dès l’âge de cinq ans, pendant la guerre. Plus tard, j’ai fait mes études à Lyon, mais toutes les vacances, tous les week-ends, je les passais dans le Beaujolais. La compagnie des viticulteurs, le charme des vignobles, la connaissance du vin ont été importants pour moi. Même les travaux de la vigne : j’ai conduit le cheval pour les labours, fait le sulfatage. Le déclic du pressoir à main retentit encore dans mon oreille. J’ai encore en bouche le goût du vin doux, tiède, qui sort du pressoir. Le « paradis » comme on l’appelle dans le Beaujolais.
Vous évoquez la période des vendanges, comme un moment particulièrement intense.
J’ai eu une jeunesse assez contrainte et les vendanges étaient une grande période de liberté, de sensualité. J’ai toujours pris part aux conversations dans les caves. Ces périodes où les gens parlent, pas seulement du vin, adossés à une pièce de vin.
Vous avez dit : « c’est dans l’enfance que le vin joue un rôle », comment l’expliquez-vous ? Un enfant n’est pas censé y avoir accès ?
Il y a imprégnation par le langage, les arômes, les senteurs. La cave ne sent pas la même chose que le cuvage ou que la grange. Que vous le vouliez ou non, vous êtes imprégné de tout cela.
Dans votre dictionnaire, vous rapportez une citation de Robert Sabatier : « il faut s’efforcer d’être jeune comme un beaujolais et de vieillir comme un bourgogne ». Comment lisez-vous ce propos ?
Oui, c’est une très belle citation. Jeune, il faut être vif, aromatique, un peu désinvolte, avoir l’adjectif facile sur la langue. C’est le beaujolais. Et puis se dire aussi que la vie longue, qu’il faut savoir vieillir, avoir des valeurs et ne jamais les oublier. On sait bien que dans dix ou vingt ans on ne sera pas tout à fait le même que celui qu’on a été. Espérer que l’on va se bonifier.
Pensez-vous que la Bourgogne soit un vignoble qui a su conserver ses valeurs ?
Ce que j’aime avec les bourgognes, c’est que l’on est toujours partagé entre l’envie de les boire tout de suite et celle de les faire vieillir.
Vous avez tranché ?
On fait les deux. Lorsque je bois un bourgogne rouge jeune, je m’excuse auprès de lui de ne pas le laisser vieillir et je lève mon verre à la santé des vieux. Quand je bois un vin vieux, je le remercie d’avoir été patient et je lève mon verre aux souvenirs des jeunes (rires) !
A propos de souvenirs, c’est peut-être le moment d’évoquer Henri Jayer (ndlr : célèbre vigneron bourguignon décédé en septembre 2006)…
Je suis allé le voir au mois de juin dernier (2006). Je lui avais dit que j’écrivais un dictionnaire sur le vin avec une entrée « Henri Jayer ». J’étais partagé entre le fait de lui envoyer le texte avant ou d’attendre que le livre soit prêt. Et je me suis dit : « « si je lui envoie avant, il pensera : mais pourquoi il me l’envoie ? Je ne vais pas mourir tout de suite ! » Je n’ai pas osé et je le regrette beaucoup. A trois jours près, il aurait pu lire le livre…
Expliquez d’où vient votre fascination pour ce vigneron ?
C’est un peu la même fascination que pour Julien Dulac (ndlr : vigneron qui avait en charge les vignes familiales). La figure du vigneron talentueux, qui connait parfaitement son métier. C’était deux artistes. On pourrait dire que l’un faisait des tableaux extraordinaires qui se vendent très cher à Drouot. L’autre faisait des petites aquarelles. Un artiste prend une matière et la transforme. A mon avis, un vigneron est aussi un artiste. Il prend des raisins, il en fait du vin. Il peut être un artiste mauvais ou exceptionnel. J’aimais beaucoup Henri Jayer : sa simplicité, sa bonhomie, sa gentillesse, son accent bourguignon.. Et les vins extraordinaires qu’il faisait !
Finalement, vous préférez la compagnie des écrivains ou des vignerons ?
Je dis une chose dans le livre : j’ai déjà vu des écrivains renier leurs oeuvres mais je n’ai jamais vu de vigneron renier son vin, quel qu’il soit. Il y a une fierté du vigneron, de l’homme de la terre. Il a travaillé durement, il a fait le mieux possible. Cette fierté-là, j’aime la retrouver dans ce métier.
Votre frère est devenu vigneron, auriez-vous aimé, vous-même, être vigneron ?
Non, non. Je n’avais pas les qualités. Il y a une qualité que je n’ai pas : la patience. Je suis totalement impatient, comme tous les journalistes. Les risques du gel ou de la grêle, pour moi, seraient insupportables. C’est quelque chose qui m’atteindrait au plus profond. Enfin, la viticulture moderne commande d’avoir de sérieuses connaissances dans différents domaines qui ne m’auraient pas enthousiasmé.
Le vocabulaire lié au vin est d’une grande diversité et très imagé, comment l’expliquez-vous ?
Ah oui. Il y a une richesse du vocabulaire du vin dont les plus grands écrivains ont fait un bon usage. Quand Colette parle du vin, c’est une merveille ! Est-ce que l’on peut mieux parler du vin ? (ndlr : il en lit un passage). J’ai toujours été un amoureux des mots. C’est toujours agréable de parler du vin mais surtout d’en entendre parler. J’ai assisté plusieurs fois à des dégustations de sommeliers, c’est agréable de les entendre.
En même temps vous pourfendez un certain snobisme ?
Oui, parce que parfois il en font trop. Mais souvent, c’est merveilleux. Il y a une poésie du vin, voire même de l’ivresse, chantée par beaucoup de poètes persans et arabes. Je dois dire quand même que voir un type ivre ne m’est pas très plaisant.
On vous sent finalement aussi bien défenseur du grand cru prestigieux que du vin de bistrot à la portée de tous. Pourquoi ?
Ils font partie de la vie et du bonheur. Je serai incapable de boire des premiers crus de Bordeaux et des grands crus de la côte de Nuits tous les jours ! Je me fatiguerai. Ce que j’adore dans le vignoble français, c’est la gamme extraordinaire des plaisirs qu’il vous propose. Vous allez dans votre cave, vous prenez un Alsace ou un Languedoc, un muscadet ou un bourgogne. Vous adaptez votre plaisir au temps qu’il fait, aux amis que vous allez servir, à votre envie, aux exigences de votre cave. C’est exactement comme devant une bibliothèque. Vous vous dites : « Tiens, j’ai envie de lire un poème de Louise Labé et puis le lendemain de lire une lettre de Voltaire. Tiens, voyons ce que cela donne, Houellebecq deux ans après…
Vous a-t-on reproché d’avoir consacré des émissions entières sur le vin ? A fortiori sur des chaînes de service public ?
Non jamais. Je vais être un peu immodeste : j’avais derrière moi quinze ou vingt années d’émissions littéraires avant que les contraintes ne soient édictées. J’ai toujours fait une émission où l’on buvait du vin vers la fin de l’année. Je pense que le CSA (ndlr : Conseil supérieur de l’Audiovisuel) se serait ridiculisé si d’un seul coup il m’avait interdit de faire une émission comme celle-ci. Ils m’ont laissé tranquille, sachant que ce privilège tomberait avec moi. Vous avez raison : la télévision publique est beaucoup plus frileuse, elle se fait un monde du CSA.
Que boit-on lors des repas de l’Académie Goncourt ?
Michel Tournier raconte qu’il y a quelques années, Emmanuel Roblès devait être élu à l’Académie à l’unanimité. Quelqu’un dans le jury a dit : « il n’aime pas boire les vins ! » Réaction immédiate des jurés : « Ah bon ? C’est ennuyeux… » Il aurait perdu deux voix.
Vous dites avoir du mal à nouer des amitiés durables avec des gens qui ne boivent pas de vin ?
C’est compliqué, oui. C’est un tel lien le vin, et plus généralement le boire et le manger. C’est une preuve de confiance, de goût, si importante qu’il est difficile d’entretenir des relations avec des gens qui n’aiment ni boire ni manger. C’est pour cela que je suis pour l’écriture bourguignonne de « tastevin » sans trait d’union, contrairement à ce que l’on voit dans certains dictionnaires. Le vin est le plus puissant, le plus délicieux des traits d’union. Pourquoi en mettre un ?
Propos recueillis par Laurent Gotti
Photographies : Lionel Georgeot
Repères
5 mai 1935 : naissance à Lyon
1958 : journaliste au Figaro littéraire
1973 : producteur et animateur du magazine littéraire Ouvrez les guillemets à l’ORTF
1975 : Lancement d’Apostrophe sur Antenne 2, fonde le magazine Lire
1985 : Anime les Dicos d’Or sur France 3
1991 : Producteur et présentateur de Bouillon de culture
2005 : Elu à l’Académie Goncourt
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