Le dossier du numéro 164 de Bourgogne Aujourd’hui est consacré à un débat très vif aujourd’hui en Bourgogne, celui de la vinifications du pinot noir en vendange égrappée ou entière. Le sujet peut sembler un peu technique de prime abord, mais il est finalement assez simple et très concret si on le ramène au style des vins produits avec les deux techniques.
Retrouvez ci-dessous quelques extraits du débat entre François Labet (Château de la Tour, à Vougeot et domaine Pierre Labet, à Beaune), tenant de la vendange entière et Jean-Nicolas Méo (Domaine Méo-Camuzet) qui ne jure lui que par la vendange égrappée.
Le dossier publié dans le numéro 164 du magazine comprend également un article technique de fond et le compte-rendu d’une dégustation verticale exceptionnelle des Clos-de-Vougeot des deux domaines.
François Labet, avec trente-cinq ans d’expérience de la vinification du pinot noir en vendange entière, avez-vous constaté que la technique fonctionnait mieux sur certains terroirs, certains millésimes… ?
Une vinification réussie en vendange entière est indéniablement liée à la maturité des fruits et avec les maturités parfaites que l’on obtient depuis quelques années, je trouve que l’apport de la rafle est très bénéfique ; les vins prennent une ampleur considérable, tout en gardant de la fraîcheur et sans exprimer ces notes végétales qui apparaissaient parfois dans des années pas mûres. Ceci étant, en tant qu’amoureux du vin, je respecte le travail de chacun et j’aime tous les vins bien élaborés. On ne peut pas dissocier cette « opposition » vendange entière, vendange égrappée du contexte global marqué par des évolutions considérables dans la maîtrise des techniques viticoles, œnologiques au cours des dernières décennies et dans les habitudes de consommation. Aujourd’hui, la nourriture s’est allégée ; les vins jeunes sont de plus en plus appréciés, même en rouge, et la vendange entière permet peut-être une ouverture plus rapide des vins surtout dans les millésimes récents très mûrs.
Que vous inspire la mode actuelle du retour aux vinifications en vendange entière ?
FL : Je crois qu’il ne faut pas imaginer qu’il est possible d’aromatiser un vin en ajoutant 10, 20 ou 30 % de vendange entière ! C’est tout ou rien !
Jean-Nicolas Méo, vous avez repris le domaine en 1989. Pourquoi avoir tout de suite choisi la voie de la vendange égrappée ?
Mon histoire est (…) celle d’un domaine qui n’avait pas été travaillé par ses propriétaires depuis longtemps. À l’époque, je ne connaissais pas grand-chose à la vigne et au vin, et mon père m’avait entouré de deux personnes qui ont beaucoup compté pour moi : Henri Jayer pour les vinifications et Christian Faurois pour les vignes. Avec Christian, nous avons repris au départ les vignes d’Henri et quelques autres, dont une partie du Clos-de-Vougeot dès 1991. Henri avait accepté de me former et il faut savoir qu’à l’époque, il était à la fois admiré et jalousé. Beaucoup voulaient connaître son secret, son « truc » (rires).
Résultat, nous avons fait une première vinification dans une maison équipée à la hâte ; la cuverie principale était en effet occupée par les métayers qui vinifiaient tous chez nous, sauf Henri Jayer, qui vinifiait chez lui. 1989 était un beau millésime, Henri m’a donné des consignes et quelques semaines après l’entonnage, je goûte avec lui ; les vins étaient bons, tout simplement, et en fin de dégustation, il se tourne vers moi : « tu vois, ce n’est pas si difficile de faire des grands vins ». Henri était un gourmand ; son plaisir, c’était d’aller dans des bonnes tables avec des amis vignerons, cela se sentait aussi dans ses vins et j’ai tout de suite adhéré à ce style de vin et à son discours qui était de dire « ce n’est pas parce que c’est bon maintenant que cela ne sera pas bon dans dix ou vingt ans. Un vin doit être bon tout le temps ». J’aime tout simplement le côté chatoyant, caressant, sensuel des vins issus de raisins totalement égrappés.
Vous n’avez pas eu envie de « tuer le père » et d’essayer autre chose ?
JNM : Au départ, il fallait lancer le domaine et il y avait autre chose à faire que de changer un style de vin qui me plaisait. Ensuite, j’ai mis beaucoup de temps à comprendre ce qu’était une vinification en vendange entière. Les vins que je goûtais ne me plaisaient pas ; ils manquaient d’éclat, de fruit, de matière souvent aussi, et puis mettre le nez sur un vin d’une vingtaine d’années en se disant immédiatement « ah, c’est de la vendange entière », cela me dérangeait que le style de vinification domine autant le terroir. En outre, ce que tu dis (s’adressant à François Labet) sur l’oxydation des baies en vendange égrappée me surprend parce que de mon point de vue, beaucoup de vins en vendange entière avaient souvent des couleurs un peu ternes, synonyme de vieillissement prématuré, d’oxydation en quelque sorte. Je pense néanmoins que la vendange entière a fait beaucoup de progrès ; en se diffusant, elle est sortie d’une certaine caricature et on trouve aujourd’hui beaucoup de bonnes choses, des vins complexes, subtils, denses, équilibrés et je comprends mieux aujourd’hui la vendange entière qu’il y a vingt/vingt-cinq ans où le plaisir de dégustation était plus spirituel que gustatif (sourires). Cela étant, ce n’est pas mon goût, je respecte le côté puriste de la démarche, mais je n’ai pas l’intention de faire de nouveaux essais.
FL : Si les vins en vendange entière sont aujourd’hui plus fins, plus complets, moins marqués par la vinification, c’est grâce aux techniques viticoles et œnologiques qui ont complètement changé, et au réchauffement climatique. Prenez le tri des raisins ! Aujourd’hui, les tables de tri sont partout mais en 1988, elles n’existaient même pas ! Cette année-là, je suis allé voir un vendeur de matériel, nous avons plié des tôles, percé des trous, posé le tout sur des tréteaux et on tirait les raisins à la raclette avec du jus plein les pieds ! Quel bazar (rires). On a bricolé, cherché des choses pour progresser ! Depuis 1999, tous les millésimes ou presque sont au minimum beaux et parfois même grandioses ; le déchet des années 1960, 1970, 1980 avec deux ou trois bons millésimes par décennie n’existe plus. Les régions septentrionales comme la Bourgogne sont pour l’heure les grandes « gagnantes » du dérèglement climatique.
JNM : En 1990, les tables de tri existaient puisque nous en avons pu en acheter une. Les fabricants de matériels ont vite répondu à la demande. L’apparition des systèmes de contrôle des températures a également été essentielle pour vinifier dans de meilleures conditions ; Henri Jayer insistait beaucoup là-dessus en disant : « j’ai remarqué que dans les millésimes froids, les vins mettent du temps à démarrer en fermentation et on obtient au final des arômes plus frais ». Le contrôle des températures lui a permis de reproduire cela tous les ans.
FL : Le même constat a été réalisé chez les tenants de la vendange entière. Ces systèmes de contrôle des températures ont révolutionné les vinifications.
Propos recueillis par Christophe Tupinier
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