Bourgogne Aujourd’hui a fêté ses 25 ans en octobre 2019 en publiant un numéro spécial consacré à ce quart de siècle qui a tout changé en Bourgogne. Aubert de Villaine, cogérant, avec Perrine Fenal (photo ci-jointe), du domaine de la Romanée-Conti a été le rédacteur en chef très impliqué de ce numéro 149 de Bourgogne Aujourd’hui ; voici une nouvelle partie de ce dossier et pas n’importe laquelle : l’article consacré au Domaine de la Romanée-Conti qui depuis longtemps, pour ne pas dire toujours, pratique cette “viticulture de terroir” à laquelle les Bourguignons ont massivement adhéré depuis le début des années 1990.
Nous mettrons en ligne la semaine prochaine le compte-rendu de la dégustation des différents grands crus du Domaine de La Romanée-Conti également publié dans notre numéro 149. Rappelons que le numéro 152 de Bourgogne Aujourd’hui est disponible en ligne depuis quelques jours. La version numérique est accessible instantanément (au numéro et/ou par abonnement) et la version papier sera expédiée à partir de la fin de semaine prochaine.
Le terroir !
Exprimer la personnalité d’un terroir, d’un « climat », dans un vin est la grande philosophie viticole du moment en Bourgogne et dans beaucoup d’autres vignobles français. Dans ce domaine, il semble admis que la Bourgogne fait autorité pour beaucoup de raisons sur lesquelles nous revenons dans ce numéro « spécial ». Ceux qui connaissent un peu d’autres régions viticoles, savent que le Domaine de La Romanée-Conti bénéficie d’un statut à part, comme une forme de lieu saint que l’on ne profane pas. Nous exagérons à peine. Il le doit à celles et ceux qui se sont succédé à sa tête, à cette Romanée-Conti devant laquelle défilent chaque année des amateurs venus en pèlerinage, en simples curieux parfois aussi, du monde entier, et il le doit à une politique où tout est fait dans un seul but : révéler des terroirs viticoles tous uniques. « L’Europe, l’Europe, l’Europe », s’était un jour exclamé le Général de Gaulle, moquant ceux qui perdaient le sens des réalités et considéraient qu’il suffisait d’invoquer le mot « Europe » pour régler tous les problèmes. On pourrait en faire de même avec le mot « terroir », tellement utilisé qu’il en est souvent galvaudé. Le travail conduit au Domaine de La Romanée-Conti depuis la crise du phylloxera, à la fin du XIXème siècle, démontre pourtant que permettre aux terroirs d’exprimer toute leur complexité de climats dans un vin n’est pas chose aisée.
Au Domaine de La Romanée-Conti, tout commence logiquement à la vigne, ou plutôt à la sélection des vignes plantées en terre. Il faut savoir que la vigne de La Romanée-Conti et un hectare de Richebourg ont été protégés du phylloxera le plus longtemps possible, jusqu’en 1945 pour
être très précis*, grâce à l’utilisation de sulfure de carbone. Le temps, espérait-on sans doute, qu’un « remède » soit trouvé pour sauver
cette Romanée-Conti dont les origines remontaient en… 1584**. Cette année-là, elle avait en effet été rachetée, en friche, aux moines ; cette Romanée-Conti de 1945 était donc tout simplement la descendante en ligne directe et par provignage de cette replantation de la fin du XVIème.
Greffons issus de la Romanée-Conti historique
Toujours est-il que grâce à ce travail de « sauvetage », toutes les replantations post-phylloxera réalisées au domaine jusqu’en 1945, l’ont été avec des greffons pris sur La Romanée-Conti et le Richebourg « vieux cépages ». « Ces greffons issus de La Romanée-Conti historique ont la particularité de produire des petites grappes à petites baies et depuis une trentaine d’années, nous prêtons une très grande attention à sélectionner ce type de greffons et à les multiplier pour les utiliser dans toutes nos replantations.
Au fil du temps, nous avons ainsi sélectionné dans nos vignes une trentaine de lignées de plants fins et quand une parcelle est replantée, elle l’est en ayant recours à toute la diversité de ces lignées. À l’avenir, nous comptons compléter ce matériel végétal maison avec celui de l’association pour la sauvegarde de la diversité des cépages », explique Aubert de Villaine, le cogérant du domaine.
En matière de viticulture, le domaine a connu sa période « conventionnelle » pour les traitements, dans les années 1960, 1970, mais sans jamais arrêter de labourer les vignes, aujourd’hui au cheval sur une partie du domaine, et selon les techniques classiques de buttage, débuttage effectués dans l’optique d’aérer le sol. Un compost à base de fumier est parfois apporté quand la vigne montre, par son aspect ou par la récolte de l’année précédente, qu’elle en a besoin ; un compost dynamisé selon les règles de la biodynamie expérimentée de 1990 à 2006 et adoptée depuis (certification Biodyvin en 2016).
Le domaine achète ses préparations, mais réalise lui-même ses tisanes de plantes à partir de cueillettes dans son propre jardin. « Le choix de la biodynamie est dans la logique de ce que nous voulons faire : exprimer avec le plus de précision possible les nuances des terroirs ; il nous semble qu’elle offre une finesse d’approche supplémentaire par rapport aux autres options et même à la biologie. Nous avons pratiqué la viticulture biologique dès 1985 et cela a permis de passer plus facilement en biodynamie ensuite », assure Aubert de Villaine, qui poursuit : « Le travail des vignes est aussi une question d’adaptation, de notre part, comme de la part de la vigne. Il y a eu des années faciles et des années difficiles, mais ce que l’expérience m’a appris et qui pour moi conforte le choix du bio, c’est qu’en biologie et a fortiori en biodynamie, on cherche bien sûr à se protéger des ennemis de la vigne, mais les produits qu’on utilise n’y parviennent que partiellement. On subit des attaques de mildiou, d’oïdium, de botrytis, dont la conséquence est un éclaircissage naturel, donc une concentration des éléments qualitatifs du raisin et une plus haute expression du vin. A condition de bien trier la vendange ».
La vendange entière dans l’ADN du domaine
Le tri ! Une opération essentielle… « Le plus gros du travail est réalisé sur le pied par des coupeurs qui pour la plupart sont des fidèles ; on peut donc leur demander un type de tri précis, adapté à chaque millésime, qui peut aller de la suppression de raisins atteints par la pourriture, jusqu’à laisser de côté des raisins plus gros, pas assez mûrs, dans l’optique d’une seconde vendange ». Amenés intacts en cuverie en petites caisses plates, les raisins sont à nouveau triés sur table. « Comme nous cherchons à vinifier avec le plus possible de vendange entière, nous coupons à
ce moment-là le maximum de queues de rafles », précise Aubert de Villaine.
La vinification en vendange entière est véritablement dans l’ADN du domaine ; la proportion ne descend jamais sous les 60 %, ce, quel que soit le millésime et/ou la cuvée, et elle peut même atteindre les 100 % dans des années comme 2015 ou 2018 où la maturité phénolique est très aboutie. Les cuvaisons durent trois semaines en moyenne, en douceur, avec quelques pigeages et des remontages réguliers. Tous les vins du domaine sont ensuite élevés à 100 % en fûts neufs ; depuis le début des années 1980, le domaine achète ses bois sous forme de merrains qui sèchent à Saint-Romain (21) chez François Frères, son tonnelier majeur depuis plus de vingt ans, qui fabrique ensuite les fûts. Les vins sont mis en bouteilles à partir de février, uniquement sous haute pression atmosphérique, si possible en lune descendante et décroissante, ce qui explique que la mise en bouteilles d’un millésime puisse s’étaler jusqu’en mai, voire au-delà.
La politique est tout aussi exigeante pour les bouchons utilisés, uniquement en liège « classique ». Le domaine s’est adjoint les services d’un expert qui parcourt les forêts portugaises et visite les bouchonniers pour garantir au domaine qui met le prix (1,80 € le bouchon environ) pour la meilleure qualité.
« Mais une chose est capitale dans tout cela, c’est le facteur humain », estime Aubert de Villaine : « Une pratique n’est bonne que si elle est effectuée par des hommes et des femmes compétents et convaincus. Chaque membre de l’équipe est important ; mon rôle, ainsi que celui de l’encadrement est de transmettre à tout le monde l’amour du travail bien fait, le souci du détail. Un bon savoir-faire effectué à la sauvette n’a pas
d’intérêt. L’important pour nous est d’être toujours en recherche, dans le cadre d’une philosophie qui ne doit jamais oublier la tradition ».
Christophe Tupinier
Photos : Thierry Gaudillère
*La Romanée-Conti a été replantée en 1947, donnant son “premier” millésime en 1952.
**La Romanée-Conti est vendue en 1584 sous son nom de l’époque, Cros des Cloux, par les moines bénédictins de Saint-Vivant à Maître Claude Cousin, sergent général de Dijon.
Ses héritiers revendent en 1621 à Jacques Venot, personnage influent de la chambre des comptes de Bourgogne, dont le gendre est Philippe de Croonembourg.
La famille Croonembourg, en 1651, déclare le Cros des Cloux sous le nom de La Romanée. La vigne reste dans cette famille jusqu’en 1760 quand elle est vendue au Prince de Conti.
Repères
Domaine de 28 hectares, dont 26,30 en grands crus.
Cogérants : Perrine Fenal et Aubert de Villaine.
Directeur administratif : Bertrand de Villaine.
Chef de culture : Nicolas Jacob.
Chef de cave : Alexandre Bernier.
30 salariés caves, vignes et bureau, soit au total 33
salariés à temps complet hors gérants.
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