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William Fèvre entre de bonnes mains

 

Le numéro 175 de Bourgogne Aujourd’hui est en vente en ligne et chez les marchands de journaux. Au sommaire : les crus du Mâconnais, la Colline des Cortons, le domaine Jean-Claude Bachelet, “coup de coeur” de la rédaction, un dossier sur les terroirs du Clos de Vougeot, les conseils de Stéphane Derbord pour réaliser un bon pot-au-feu et une rencontre avec Saskia de Rothschild, la nouvelle propriétaire du domaine William Fèvre, à Chablis et Didier Séguier, le régisseur.  Retrouvez ci-dessous quelques extraits de cette interview à deux, dont l’intégralité est donc à lire dans Bourgogne Aujourd’hui. 

 

 

Pourquoi avoir voulu vous implanter en Bourgogne et à Chablis ?

Saskia de Rothschild : Ce qui est formidable avec William Fèvre, c’est que c’est un vignoble de 70 hectares déjà très construit, diversifié. Sa taille offre beaucoup de possibilités, avec, ce à quoi nous croyons beaucoup chez DBR Lafite, la capacité de produire des vins d’exception pour les grandes occasions et des vins plus accessibles pour tous les jours, proposés au verre en restauration, etc. Nous avons bien sûr Lafite Rothschild, L’Évangile, mais aussi dans l’Entre-deux-Mers, une propriété de cinquante hectares, Château Paradis Casseuil, où l’on produit un excellent bordeaux, en bio, à moins de 20 € ou encore dans les Corbières, le Château d’Aussières. Nous pensons qu’il est sain d’avoir une offre très diversifiée. Cela permet de garder les pieds sur terre.

 

Les exemples d’implantations réussies de Bordelais dans le vignoble bourguignon, et vice versa, sont rares et plus globalement peu de relations existent entre Bourguignons et Bordelais. Comment l’expliquez-vous ? Par l’éloignement géographique, culturel ?

SDR : J’ai eu la chance de passer du temps en Bourgogne, de rencontrer des vignerons, d’avoir été invitée aux rencontres Henri Jayer. J’ai beaucoup écouté, appris, notamment dans la façon dont les Bourguignons utilisent le fût de chêne et que nous essayons de mettre en pratique pour nos rouges. Nous allons apprendre et voir ce que nous pouvons apporter notamment sur ce que nous avons mis en place pour nous adapter au réchauffement climatique, sur le matériel végétal, le bio qui est bien implanté chez William Fèvre et que nous conduisons depuis 2011 à L’Évangile. Il y a chez William Fèvre une équipe bien en place, qui connaît ce territoire de Chablis. Je ne veux rien révolutionner et cela devrait bien se passer. Je ne suis pas inquiète.

 

Didier Séguier, vous avez eu un pied à Chablis depuis votre arrivée ici en 1998 et l’autre en Côte-d’Or, du fait des liens entre William Fèvre et Bouchard Père & Fils. Pensez-vous qu’il subsiste à Chablis un esprit « pionnier » ?

On trouve ici une grande ouverture d’esprit. C’est un vignoble qui a 2 000 ans d’Histoire, mais aussi quelque part très « jeune », tourné vers l’innovation, avec aujourd’hui une orientation environnementale marquée dans la jeune génération. Et puis Chablis est à mi-chemin entre la Bourgogne et la Champagne qui a une influence évidente sur cette modernité que l’on ressent à Chablis.

 

Peut-on parler d’un vignoble à la fois historique et pragmatique ?

DS : Exactement, les gens restent paysans, gardent les pieds sur terre, vont encore aux vignes et la technique ne leur fait pas peur. Ils avancent, n’ont pas peur de changer ce qui est peut-être un peu moins le cas en Côte-d’Or. Il faut rappeler que William Fèvre était un visionnaire, en concevant ici, il y a plus de cinquante ans, des installations très modernes, avec le sens du travail par gravité, le recyclage de l’eau sur le ruissellement des cuves, etc. Il fallait y penser en 1972 !

 

La taille du Domaine William Fèvre ne peut évidemment pas faire peur à une Bordelaise, mais avec 70 hectares de vignes répartis en 130 parcelles, vous allez produire beaucoup de vins différents, à 100 % blancs. Cette mosaïque, ce nouvel univers des climats de Bourgogne, ce lien étroit entre des lieux et des vins vous fascine, vous effraie, vous motive ?

SDR : Mais c’est de cette identité dont je suis tombée amoureuse avant tout ! J’ai appris à connaître cet univers en tant que dégustatrice et un peu comme vigneronne. À Lafite, les 100 hectares sont répartis en 50 parcelles que nous connaissons par cœur. Elles sont suivies tout au long de l’année, vinifiées séparément et assemblées en nous demandant ce que chacune va apporter. J’ai déjà un peu cette culture du lieu, mais j’arrive ici avec beaucoup de questions, de curiosité et l’envie de comprendre pourquoi on obtient des vins aussi différents.

Dans ma génération et la suivante, il y a une demande de sincérité et d’authenticité et quel message plus clair, plus pur, que de dire : cette parcelle a produit ce vin ! La dimension de rareté est également très importante. De plus en plus, il faut produire des vins incarnés, qui racontent des histoires et chacun de ces climats raconte une histoire différente. Les gens veulent savoir ce qu’il y a derrière l’étiquette, qu’elle est l’âme et l’histoire de ce vin. C’est ce qui fascine les consommateurs.

 

Comment s’y retrouve-t-on dans une telle mosaïque ?

DS : Par un suivi d’une grande précision sur chacune des 130 parcelles du domaine, un travail essentiel sur la maturité des raisins qui peut évoluer très vite avec le réchauffement, une accumulation de détails… En vingt-cinq ans, les attentes des consommateurs ont totalement changé. Nous sommes passés d’une consommation « de masse » à une vraie attente d’authenticité, de précision, à laquelle la Bourgogne, mais elle n’est pas la seule, répond parfaitement. Dès 1998, nous nous sommes inscrits dans cette logique en isolant des parcelles, qui jusqu’alors étaient assemblées, pour en faire des cuvées à part : le grand cru Côte Bouguerots (dans Les Bougros), les premiers crus Les Lys (dans Les Vaillons), Les Vaulorents (dans Les Fourchaumes), etc.

 

Avez-vous également changé beaucoup de choses en vinification et en élevage ?

DS : Nous nous sommes vite détournés du fût neuf qui avait tendance à dominer les vins et finalement à neutraliser l’expression des terroirs. Aujourd’hui, le travail de vinification, d’élevage, en fûts et/ou avec des cuves de tailles très différentes, est un travail d’épicerie, réalisé à la carte, en nous adaptant aux parcelles, aux millésimes. Notre style, c’est de rechercher par tous les moyens à mettre en avant l’identité de chaque cru.

SDR : Dans tous nos vignobles, nous pensons que le chai n’est qu’une étape de révélation de ce que le terroir a à raconter. Nous sommes très peu interventionnistes et ce qui nous a beaucoup séduits ici, impressionnés même, c’est de voir comment le vignoble est pensé, tenu, suivi et prioritaire. C’est la clef de William Fèvre.

 

À Chablis, on parle beaucoup, mais alors vraiment beaucoup de « minéralité », avec parfois un vocabulaire de dégustation « local ». Je pense aux arômes « coquillés » qui font référence aux notes d’iode, coquilles d’huître. Parlez-vous déjà chablisien ?

SDR : Les mots employés pour le vin sont extrêmement importants et il nous reste beaucoup de travail à faire, à nous professionnels, pour raconter nos vins d’une manière aimable et compréhensible par tous. Ensuite, je trouve que cette notion de minéralité parle, parce qu’elle est visuelle, sensorielle. Je me vois en train de lécher un caillou. Cela compte et c’est sans doute pour cela qu’il y a autant d’engouement, de débats, autour de la minéralité. La minéralité, c’est aussi une notion très large qui va de la craie, à l’iode, aux galets des plages bretonnes ou normandes, au fumé. C’est à chacun d’avoir sa propre perception, mais c’est une réalité, bien sûr.

DS : Le terme est parfois galvaudé, mais s’il existe des vignobles minéraux, Chablis en fait partie parce que le terroir kimméridgien est unique. Il transmet des sensations minérales aux vins et notre objectif est de transcender tout cela. À Chablis, on ne boit pas du chardonnay, on boit du kimméridgien. Les vins ont un côté salin, salivant, désaltérant au sens noble du terme, que l’on ne retrouve pas ailleurs. Un verre en appelle un autre et on finit la bouteille. Nous sommes là pour faire des vins qui se boivent, pas des vins de concours !

SDR : Nous avons connu à Bordeaux l’ère des vins « Parker », très « waouh ! ». C’étaient des bêtes à concours, des bordeaux boisés et nous nous sommes toujours battus pour que nos vins continuent d’avoir de la buvabilité, de l’équilibre et de la finesse, bien au-delà de la seule dimension de puissance.

 

Parlons un peu du sujet « bio » qui semble vous tenir à cœur à tous les deux. Quand la démarche a-t-elle démarré chez William Fèvre ?

DS : Je suis arrivé en septembre 1998 et tout était désherbé, même les talus. Cela m’avait choqué de voir dans quel état était le vignoble et pas qu’à Chablis d’ailleurs. J’ai mis en place les premiers enherbements dès le printemps 1999, sur deux hectares, et à partir du début des années 2000, nous avons peu à peu arrêté les herbicides, les produits chimiques pour passer en bio sur quasiment tout le domaine en 2006, sans certification au début. Les premiers essais en biodynamie ont débuté en 2010 sur tous les crus.

 

Une jeune femme, qui lance le bio dans des châteaux historiques, Lafite Rothschild, L’Évangile, des « totems » de la viticulture bordelaise, française et mondiale, dans une région où le climat océanique chaud et humide complique les choses… Cela s’est-il avéré plus compliqué que vous le pensiez ?

SDR : C’est comme pour tout, il faut prendre le temps pour bien faire les choses, expliquer que c’est une approche globale du vignoble. Il faut être dans la vigne, l’observer, en prendre soin pour la pérenniser et dans le panel de choses à faire, le bio est un critère. Être certifié bio, supprimer les produits chimiques, est une partie de la réponse. Beaucoup d’autres paramètres sont à prendre en compte : l’équilibre avec la biodiversité, la précision du travail viticole… Alors la démarche de certification a commencé à L’Évangile, à Pomerol, en 2017, et en 2018, nous avons été terrassés par le mildiou en raison d’un sous-dosage du cuivre sur les premiers traitements. Cela a été une bonne leçon ! Nous avons réfléchi, travaillé différemment, continué d’avancer et la démarche a également été lancée à Lafite mais de façon plus progressive et raisonnée, par tranches, vingt hectares, puis trente, quarante… On ne convertit pas 100 hectares en une fois. En 2021, je me suis rendu compte que l’équipe était prête et nous avons engagé la certification sur l’ensemble de la propriété. Toutes nos propriétés françaises seront certifiées à la récolte 2024.

 

Propos recueillis par Christophe Tupinier

Photographies : Thierry Gaudillère

 

 

Repères

Domaines Baron de Rothschild Lafite

Château Lafite Rothschild (Pauillac), premier grand cru classé : 100 hectares (ha).

Château Duhart-Milon (Pauillac), quatrième grand cru classé : 70 ha.

Château L’Évangile (Pomerol) : 22 hectares.

Château Rieussec (Fargues), premier grand cru classé de Sauternes : 80 ha.

Château Paradis Casseuil (Entre-deux-Mers- AOC Bordeaux) : 50 ha.

Château d’Aussières (Corbières) : 170 ha.

Des propriétés au Chili, en Argentine et en Chine.

 

1868 : Le Baron James de Rothschild fait l’acquisition du Château Lafite à Pauillac et commence ainsi l’histoire viticole de la branche française des Rothschild

1945 : Le Baron Elie devient gérant du Château Lafite après que le domaine ait été mis sous séquestre par Vichy car étant un « bien juif », pour y installer des officiers allemands pendant toute la Seconde Guerre Mondiale. Il commencera un important travail de restauration du vignoble.

1975 : Eric de Rothschild prend la suite de son oncle Elie en tant que gérant du Château dans une ère économiquement difficile. Il développera la viticulture moderne, le travail au chai avec Emile Peynaud et le rayonnement du vin à travers le monde. Sous sa direction, l’activité viticole de la famille se développera hors de Pauillac notamment à Pomerol avec Château L’Evangile, à Sauternes avec Rieussec et à l’étranger.

2016 : Saskia de Rothschild rejoint son père Eric à la gérance de Château Lafite. Elle passe un BTS Agricole viti-oeno cette même année. (Son parcours précédent l’avait mené sur les bancs des classes préparatoires littéraires, d’HEC Paris, de Columbia University avant qu’elle n’entame une carrière dans le journalisme, notamment au New York Times, comme correspondante en France et en Côte d’Ivoire. En 2016, elle déménage d’Abidjan à Pauillac.) Elle est convaincue que son ère sera celle de la protection.

2021 : Saskia devient gérante exécutive de Lafite et des Domaines Barons de Rothschild Lafite. Tous les domaines Français de DBR Lafite seront certifiés en agriculture biologique à la récolte 2024.

2024 : La famille réalise l’acquisition du Domaine William Fevre à Chablis, séduite par ses terroirs extraordinaires et identitaires, l’approche environnementale et la culture de la vigne de l’équipe, ainsi que la magie des vins.

 

William Fèvre

1619 : Jean Fèvre, vigneron à Fontenay-près-Chablis.

1959 : Première déclaration de récolte de William Fèvre, 12<E>e<E> génération, qui reprend le flambeau derrière son père Maurice. Sept hectares (ha) en production.

1960-1970 : Acquisition et replantation de nombreuses parcelles dans les grands crus et premiers crus.

1998 : Rachat par Joseph Henriot, arrivée de Didier Séguier à la tête du Domaine. 48 ha dont 15,20 de grands crus, 16 de premiers crus et 16 de Chablis.

2000-2010 : Conversion progressive du domaine aux pratiques biologiques.

2009-2014 : Certifications environnementales (agriculture raisonnée, HVE 2 et 3).

2010-2020 : Développement des pratiques biodynamiques sur l’ensemble des grands crus et premiers crus.

2023 : Certification bio du domaine.

2024 : Acquisition par DBR Lafite. 70 hectares dont 38 de Chablis, 16 classés en premiers crus et 15,2 en grands crus. L’activité de négoce-éleveur représente un gros tiers de la production totale à 100 % en vins blancs.

 

 

 

 

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