La rubrique Rencontre du numéro 165 de Bourgogne Aujourd’hui est consacrée à Ève et Erwan Faiveley, la nouvelle génération qui a révolutionné en profondeur la maison familiale au cours des 15 dernières années. Retrouvez ci-dessous les meilleurs moments de cette interview.
Erwan, vous avez repris la maison en 2005 et votre sœur vous a rejoint en 2014, est-ce facile de travailler en famille ?
Erwan : Il nous a fallu du temps pour trouver un rythme de croisière, mais depuis deux, trois ans, c’est extrêmement agréable. Ma fonction est celle de directeur général et Ève, après avoir commencé en marketing-communication, a évolué vers le commercial ; elle est désormais en charge de la France et de quelques marchés export.
Ève : Travailler entre frère et sœur, c’est facile et très difficile parce qu’il n’y a pas de filtre. On se dit facilement les choses sans y mettre les formes comme cela devrait parfois être le cas. On peut donc heurter, mais d’un autre côté, on avance plus vite. Aucun mode de fonctionnement n’est parfait (sourires).
L’actualité du Domaine Faiveley c’est l’acquisition de cette statue de Rodin qui trône depuis peu dans le patio de la cuverie, à Nuits-Saint-Georges. Pourquoi avoir souhaité faire cet investissement et surtout l’exposer ainsi au milieu d’un espace de production viticole, à quelques dizaines de mètres de vignes de Nuits-Saint-Georges premier cru et pas dans une galerie d’art ?
Erwan : Notre arrière-grand-oncle, Maurice Fenaille était un type incroyable, industriel, explorateur, dont la société est à l’origine d’Esso ; il a gagné beaucoup d’argent, c’était un amateur d’art qui est devenu ami et mécène de Rodin. À sa mort, il a donné sa collection au musée Rodin tout en créant son propre musée à Rodez.
Ève : En fait, nous avons donc commencé il y a quelques années par donner le nom « Les Ouvrées Rodin » à une de nos cuvées de chambertin Clos de Bèze et quand la cuverie à Nuits a été rénovée, il nous a semblé qu’il manquait quelque chose au milieu de ce patio qui ouvre sur les vignes. De fil en aiguille, nous avons songé à y exposer une œuvre d’art et une œuvre de Rodin s’est imposée comme une évidence. En tant que personne morale, le musée est l’héritier de Rodin ; pour se financer il a le droit d’éditer des œuvres dans la limite de douze par moule original et c’est ce qu’il fait de temps en temps.
La maison a également été très impliquée et elle l’est toujours dans le festival Musique et Vin au Clos-de-Vougeot. Arts et grands vins de Bourgogne sont-ils indissociables ?
Erwan : Nous sommes très fiers de ce festival, mais il a d’abord été pensé par Bernard Hervet, qui est un grand mélomane. Clairement, oui, le vin, la musique, l’art, vont bien ensemble.
Cela ne donne-t-il pas à la Bourgogne une image…
Erwan : Élitiste ?
Vous avez lu dans mes pensées… Élitiste voire inaccessible, une image renforcée par la forte augmentation du prix des vins depuis quelques années ?
Erwan : Peut-être, mais ce n’est pas du tout notre but.
La Bourgogne évolue-t-elle désormais au monde du luxe ?
Ève : C’est le cas depuis déjà quelques années et je crois que les investissements réalisés par Bernard Arnault et François Pinault y ont beaucoup contribué.
Erwan : Pour une petite frange de la production, quelques grands domaines, les grands crus, certains premiers crus d’appellations réputées, mais qu’est-ce que cela représente en volume ? 1,5 % de la production totale bourguignonne pour les grands crus…
Les prix des vignes ont véritablement explosé et on parle aujourd’hui de plusieurs millions d’euros pour une simple petite ouvrée de 428 m2 de vigne en grand cru. L’investissement n’a a priori aucun rapport avec la moindre notion de rentabilité, cela va compliquer les futures successions, alors est-ce bien raisonnable ?
Erwan : Non, c’est dangereux, mais encore une fois on ne parle là que du sommet du panier, de quelques pourcents de la surface totale du vignoble bourguignon.
Peut-être, mais par « ruissellement », les prix des vignes augmentent partout et on atteint 300, 400, 500 000 euros l’hectare de premier cru dans des appellations de renommée plus modeste.
Erwan : Sans doute, mais si l’on regarde les AOC villages et les « petits » premiers crus, c’est encore rentable. Alors sur les grands crus et les « grands » premiers crus, les prix des terres n’ont plus aucun sens ; c’est un vrai souci et une menace pour les entreprises familiales.
Et si demain, les Bourguignons perdaient le contrôle d’une part significative des grands crus et des « grands » premiers crus ? Ce n’est peut-être qu’une petite partie de la Bourgogne, mais c’est la plus prestigieuse.
Ève : Mais c’est ce qui est en train d’arriver ! Regardez le nombre de domaines, « stars » ou pas, qui ont été rachetés ces dix dernières années et d’autres vont suivre…
Erwan : C’est un vaste sujet, dans lequel il y a les mécanismes de l’offre et de la demande contre lesquels il est difficile de faire quelque chose et qui font grimper les prix en Bourgogne, mais qui recoupe également le problème des droits de succession en France qui sont parmi les plus élevés au monde.
Ève : Il va bien falloir que l’état finisse par comprendre que les entreprises familiales sont essentielles à la survie des régions viticoles et par mettre en place une législation qui facilite les transmissions au sein des familles.
Erwan : Et qu’il arrive à faire la distinction entre des investisseurs qui acquièrent à des prix stratosphériques quelques ouvrées de vignes comme s’ils s’offriraient des œuvres d’art et des domaines comme le nôtre pour lesquels ces vignes sont un outil de travail.
Le Domaine Faiveley couvre aujourd’hui 140 hectares de vignes. Comment s’organise-t-on au vignoble, en cuverie, en cave, pour gérer une aussi grande diversité de situations viticoles dans l’optique finale, qui est la vôtre, de produire des vins de haut niveau ?
Erwan : Il faut des équipes, des process, des hommes, un directeur technique… Ce qui m’avait beaucoup plu en rencontrant Jérôme Flous, notre directeur technique depuis la fin des années 2000, c’est qu’il est œnologue, mais d’abord ingénieur et il a toujours abordé les métiers du vin sous l’angle des process. Alors dit comme cela, cela manque un peu de poésie, mais pour faire de grands vins sur 140 hectares, avec 300 parcelles de vignes, il faut d’abord chercher à maîtriser les choses. Jérôme a mis en place un suivi parcellaire précis ; ensuite c’est à nous d’interpréter chaque millésime et chaque terroir. Alors, il faut des process, mais aussi et surtout les bonnes personnes aux bons endroits ; nous avons une personne très compétente à Chablis, des chefs de culture à Gevrey-Chambertin, à Nuits-Saint-Georges, un nouveau chef de culture-régisseur à Mercurey et Jérôme Flous assure la coordination.
Erwan, l’une de vos grandes décisions a été de changer le style des vins rouges du domaine. Ils étaient réputés pour leur densité, leur longévité, mais avec une certaine fermeté, pour ne pas dire une dureté dans leur jeunesse. Pourquoi avoir voulu changer ?
Ève : En règle générale, beaucoup de Bourguignons en ont fait de même. La tendance aujourd’hui dans les rouges de Bourgogne, c’est d’avoir des vins moins tanniques, plus frais et plus fruités.
Erwan : Les vins de mon père vieillissaient très bien et je ne suis pas convaincu qu’en faisant des vins plus accessibles dans leur jeunesse on mette en péril leur potentiel de garde. La décision de changer de style s’est faite en discutant, en dégustant avec Bernard Hervet qui m’avait rejoint fin 2016, en visitant des domaines… Des investissements ont été réalisés rapidement en thermorégulant toutes les cuves à Nuits-Saint-Georges dès 2007 et 2009 à Mercurey. Jérôme Flous est arrivé ; il a embrassé cette nouvelle vision des vinifications et l’a peaufinée. Thermorégulation, gravité, nouvelle gestion de la logistique des raisins en cuverie et cela a changé les vins !
La Bourgogne est devenue une région phare en matière de viticulture biologique et on estime même que 50 % environ des vignes de Côte-d’Or sont aujourd’hui conduites en bio. Où en est le Domaine Faiveley ?
Erwan : Le bio n’est pas nouveau pour nous ; en 2021, toutes les vignes de Nuits-Saint-Georges ont été cultivées en bio, avec de bons résultats, tant quantitatifs que qualitatifs et c’est ce qui a fini de me convaincre. Les produits chimiques traditionnels ont atteint leurs limites ; le soufre et le cuivre sont des produits basiques, efficaces et nous avons donc pris la décision de lancer en juillet 2022 la conversion officielle de l’ensemble du domaine en viticulture biologique. Aujourd’hui, un tiers du domaine est conduit en bio et les deux tiers en HVE 3. Passez d’HVE 3 à bio va demander encore un peu de temps, des investissements en matériel et en hommes, une nouvelle organisation du travail qui va notamment nécessiter que chaque week-end des personnes soient d’astreinte pour aller traiter, même le dimanche s’il le faut, mais on voit comment faire, les process ont été mis en place et nous sommes confiants.
Ève : Il faut aussi préciser que passer en bio est pour nous une philosophie, pas un argument commercial. Nos vins n’ont pas besoin d’être bio pour bien se vendre ; les clients commandent du Faiveley, une appellation, un millésime, mais pas un vin bio. Notre père a commencé la viticulture raisonnée il y a bien longtemps ; nous sommes allés un peu plus loin et cette demande de certification n’est qu’une forme de suite logique, d’aboutissement. C’est aussi très chouette de voir à quel point ce passage en bio génère beaucoup d’enthousiasme dans nos équipes.
Propos recueillis par Christophe Tupinier
Photographies : Thierry Gaudillère
Repères Faiveley
Directeur général : Erwan Faiveley.
Vins & Vignobles : Jérôme Flous.
Vente & Communication : Ève Faiveley.
Domaine Faiveley : 120 hectares (70 Côte Chalonnaise, 50 en Côtes de Nuits et de Beaune).
Domaine Billaud-Simon (Chablis) : 20 hectares.
Commercialisation : France 30 %, export 70 %. 800 000 à 900 000 bouteilles en année normale.
Appellations : la marque Faiveley est dédiée aux vins de la Côte de Nuits, de la Côte de Beaune et de la Côte Chalonnaise, issus essentiellement du domaine ; le négoce (10 % environ du chiffre d’affaires) étant réservé à quelques AOC (Chambolle-Musigny, Meursault…) et surtout aux bourgognes rouges et blancs. À Chablis, les vins de domaine et de négoce sont vendus sous le nom Billaud-Simon.
Ève et Erwan Faiveley en quelques dates
1979 : naissance d’Erwan.
1984 : naissance d’Ève.
2005 : reprise du domaine familial par Erwan.
2008 : achat de parcelles en grands crus blancs Bâtard-Montrachet et Bienvenue-Bâtard-Montrachet.
2012 : rénovation de la cuverie de Mercurey.
2014 : Ève rejoint le domaine. Acquisition de Billaud-Simon, à Chablis.
2018 : rénovation de la cuverie à Nuits-Saint-Georges.
2019 : prise de participation dans William Selyem, en Californie.
2022 : passage du domaine en viticulture biologique.
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