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publié le 01 avril 2020

Dossier “25 ans” : comment la Bourgogne a changé son fusil d’épaule !

 

 

Retour au dossier “25 ans” publié dans le numéro 149 de Bourgogne Aujourd’hui ; un quart de siècle marqué par un changement majeur de philosophie en Bourgogne, avec le passage de l’ère de l’œnologie “moderne” des années 90, au triomphe d’une viticulture minutieuse et respectueuse des terroirs à partir des années 2000.
Le prochain numéro de Bourgogne Aujourd’hui (152) sera mis en ligne ce vendredi dans l’après-midi sur ce site.

Au-delà des phénomènes de mode, qui ont aussi, et les exemples ne manquent pas, investi le monde du vin, un constat s’impose, incontestable et réjouissant : en un quart de siècle, la Bourgogne viticole a beaucoup progressé. Les pinots noirs, bien aidés par le changement climatique, et dans une moindre mesure les chardonnays, ne se sont jamais montrés aussi homogènes, aussi purs, aussi précis, et, pour résumer, aussi qualitatifs qu’au cours de la dernière décennie. La Bourgogne vient de passer de l’ère de l’œnologie triomphante des années quatre-vingt-dix, où l’on « faisait » les vins
en cave, à l’ère du retour en grâce d’une viticulture pensée, raisonnée, de plus en plus précise et respectueuse de l’environnement. Les amateurs de grands vins ne peuvent que s’en féliciter.

 

Petit coup d’œil dans le rétroviseur.

 

Les plus de cinquante ans se rappellent les nombreux millésimes désastreux des années soixante-dix et quatre-vingt : météo humide, fraîche et capricieuse, entraînant la récolte, parfois en octobre, de raisins délavés poussant sur des sols bombardés d’herbicides, et donnant au final des pinots plus roses que rouges, et des chardonnays acides et dilués, indignes de la réputation de la région. Il était urgent de réagir, et la Bourgogne le fit en s’offrant sa première révolution à la fin des années quatre-vingt, sous l’impulsion notamment du critique américain Robert Parker. « C’est Parker qui a fait la réputation de certains domaines. Il a entraîné derrière lui un aréopage de conseils qui ont poussé leurs clients à produire des vins noirs, riches et boisés », constate François Labet, vigneron dans la Côte de Beaune et dans le Clos-de-Vougeot. Frédéric Weber, maître de chai chez Bouchard Père et Fils, à Beaune, se rappelle ses années de formation : « Quand j’ai passé mon DNO
(Diplôme National d’Œnologie), on nous apprenait à faire des vins très colorés. Or, le pinot n’a pas besoin d’être noir pour être beau ».

 

Des vins élaborés en cave plus qu’à la vigne

Cette époque, qui voyait s’affronter les tenants du modernisme œnologique et ceux de la tradition, a donné lieu à quelques excès, et à beaucoup d’expérimentations. Les vins étaient alors élaborés en cave plus qu’à la vigne, et l’objectif était pour beaucoup d’extraire le maximum de matière : pigeages, montées en température en fin de fermentation, bâtonnage pour les blancs, et enfin élevage en fûts, avec d’importantes proportions de fûts neufs.
« J’étais à 100 % de fûts neufs sur les grands crus, je suis revenue à 60 % depuis plusieurs années », explique Nadine Gublin, œnologue des Domaines Labruyère. Christian Amiot (Domaine Amiot-Servelle à Chambolle-Musigny) dresse le même constat : « Je suis monté jusqu’à 100 % de fûts neufs alors qu’aujourd’hui, je ne dépasse pas 50 % ».

Tout n’est pas à jeter bien sûr de cette époque qui a vu la Bourgogne redresser la tête… et les prix de ses vins. Les années quatre-vingt-dix ont donné naissance à de belles cuvées, qui, certains millésimes aidant, ont réussi à traverser les années. Les meilleurs 1999, année pourtant pléthorique, se montrent toujours fringants. De grands vins à leur apogée… À l’inverse, de nombreuses cuvées, surextraites et surboisées, se sont avachies en bouteilles. Car l’œnologie ne peut pas tout.
Les grands vins se font dans la vigne. Une évidence aujourd’hui pour la plupart des Bourguignons.

 

Les « climats » au patrimoine mondial

« Aujourd’hui, on compte sur les doigts d’une main les vignes désherbées alors qu’il y a vingt ans, on comptait les vignes labourées », sourit François Labet. Christian Amiot fait, dans ce domaine, figure d’exception : « J’ai repris le domaine de mon beau-père en 1990, à cette époque, il était l’un des rares vignerons labourant et piochant ses vignes ».

« On a gagné en précision dans le vignoble ; le travail du sol, la biologie, la biodynamie, nous ont conduits à aller plus loin dans les détails et dans la connaissance précise de chaque parcelle », complète Frédéric Weber. Corollaire de ce retour aux fondamentaux, et de l’essor d’une viticulture plus propre favorisant la vie microbiologique des sols : les vins traduisent avec plus de transparence la vraie nature de leur terroir. Ils n’ont plus besoin du « maquillage » du fût, de la technique œnologique et ils s’expriment avec un supplément de pureté et de précision. Ce retour aux fondamentaux de l’exceptionnel patrimoine viticole bourguignon a été salué par l’UNESCO, qui en 2015 a inscrit les “climats” de la Côte-de-Nuits et de la Côte-de Beaune au patrimoine mondial de l’Humanité.

 

Jean-Philippe Chapelon

 

L’importance du matériel végétal

C’est l’alpha et l’oméga, le point de départ et le passage obligé : pas de grand vin sans un matériel végétal de qualité, ces chardonnays et pinots noirs fins ou très fins à l’origine des cuvées les plus racées. Conscients de l’impérieuse nécessité de conserver le patrimoine de vieilles vignes donnant naissance aux grands vins de Bourgogne, Aubert de Villaine et Denis Feltzmann, directeur des Domaines Latour, ont créé en 2008 l’association pour la sauvegarde de la diversité des cépages de Bourgogne. Éric Bourgogne (Domaine Comte de Vogüe) en a pris la présidence en 2012. « L’association, qui compte aujourd’hui trente-neuf membres, est partie du constat que de plus en plus de vieilles vignes sont arrachées et que les souches de ces vieilles vignes sont perdues à jamais. Dès 2008, elle a donc demandé aux domaines de sélectionner dans leurs vieilles vignes de massales des souches répondant aux critères de finesse. Elles ont été marquées et contrôlées trois années de suite de manière à vérifier qu’à chaque fois le même type, fin ou très fin*, se présentait. La prospection et le suivi ont été assurés en collaboration avec l’ATVB**. En 2012, on a planté une première parcelle de pinot noir, puis une autre en 2013, une de chardonnay en 2014 et une de chardonnay et une de pinot en 2015, soit cinq parcelles pour un total de 1,4 hectare. Chacune de ces plantations est suivie pendant plusieurs années par les chefs de culture des domaines, afin de vérifier que le type observé se retrouve sur les souches rajeunies. Aujourd’hui, on arrive à plus de 800 lignées -descendance d’une souche mère- qui ne seront définitivement sélectionnées que lorsqu’elles auront satisfait trois fois aux critères fin ou très fin. C’est le cas de la parcelle de 2012 qui a déjà eu ses lignées sélectionnées qui sont en greffage », explique Éric Bourgogne. Les nouvelles greffes sont destinées aux membres de l’association, mais pas seulement. « Nous tenons à ce que certaines lignées, par l’intermédiaire de l’ATVB, puissent bénéficier à toute la Bourgogne, car ce passé est notre avenir », conclut le président. On ne saurait mieux dire.

*Les pinots très fins présentent une rafle et des baies bien aérées, sans contact entre elles ; les pinots fins donnent un peu plus de volume de raisins, mais sans dépasser un rendement de trente/trente-cinq hectolitres par hectare. Le même distinguo entre fin et très fin s’applique chardonnay.

 

**Agence Technique Viticole de Bourgogne.

 

“Avis d”Aubert de Villaine, cogérant du domaine de la Romanée-Conti et rédacteur en chef exceptionnel du numéro 25 ans de Bourgogne Aujourd’hui

Une association du sol, de l’exposition et du microclimat, c’est ainsi qu’on décrivait le terroir en Bourgogne dans les années 1970 et on n’allait guère plus loin. C’est au cours de ces dernières vingt-cinq années que l’on assiste à la remarquable prise de conscience, qui s’est depuis sans cesse affirmée, que la production de grands vins n’était pas chose simple, qu’elle participait de processus naturels complexes et qu’on ne pouvait rien obtenir d’exceptionnel sans une alliance avec la nature, sans un mariage consenti et compris avec elle. Comme le dit l’adage de Bacon, on ne peut commander à la nature qu’en lui obéissant. Grâce aux travaux de gens comme Claude Bourguignon ou Yves Hérody, grâce à l’action du Gest et de bien d’autres, on a découvert la complexité de la vie du sol et les symbioses naturelles qu’elle renferme, notamment celle essentielle entre les champignons du sol et les racines de la vigne, qu’on appelle les mycorhizes… On a découvert le rôle actif des bactéries et bien sûr, le plus visible, celui des vers de terre, et qu’il était essentiel de respecter ces symbioses tant pour exprimer toute la potentialité d’un terroir que pour préserver les sols pour le long terme.

À partir de là, on a vu l’intérêt croître pour les options bio, qui trouvent aussi des alliés dans une climatologie favorable, le souci d’un environnement sain pour le vigneron ainsi que dans une climatologie favorable. On prend conscience qu’au niveau du matériel végétal, la sélection et la diversité dans la sélection sont des mots-clés et indissociables, que, même si l’on a le plus grand terroir du monde, on ne fera jamais un très grand vin si l’on n’y plante pas un matériel végétal de haut niveau. On comprend que la recherche de l’expression du lieu dans les vins, c’est l’essence même de la Bourgogne, son ADN et, quand surgit l’idée d’inscrire la culture millénaire de la côte viticole sur la liste du patrimoine mondial, c’est tout naturellement que le mot « climat », que la Bourgogne a toujours conservé à travers les siècles pour désigner une parcelle de vigne délimitée et nommée, est choisi pour être la bannière de la candidature et l’emblème d’une inscription que le comité du patrimoine mondial a légitimé unanimement.

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