Gel, (premier) bilan et perspectives !

Bourgeon grillé en Meursault premier cru Les Perrières.

 

 

 

48 heures après la dernière des trois nuits de gel destructrices, des heures de visites sur le terrain et quelques dizaines d’appels passés à des producteurs, le même commentaire revient partout, dans toutes les régions viticoles : le premier bilan est lourd, particulièrement en cépage chardonnay, dans l’Yonne, en Côte de Beaune, Côte Chalonnaise, Mâconnais et en pinot noir dans les secteurs précoces des côtes de Beaune, Chalonnaise et de Nuits ; 80 à 100% des bourgeons qui étaient sortis ont grillé sous l’effet de températures polaires (jusqu’à -6, -7°), dont l’effet a été amplifié par l’humidité apportée par la pluie et… la neige tombée dans la nuit de mardi à mercredi dernier ; sur une végétation humide le point de gel se rapproche de 0 degré, alors qu’en environnement sec, un vigneron de Chablis nous confiait que les bourgeons peuvent résister jusqu’à -3, voire -4%.

 

De l’espoir dans les zones tardives

 

80 à 100% de bourgeons gelés ne vont pour autant pas se traduire par 80 à 100% de perte de récolte. Tout le monde attend maintenant de voir sortir dans deux ou trois semaines les contre-bourgeons ; ils ne seront pas aussi fructifères que les premiers bourgeons, mais quelques vignerons espèrent une demi-récolte, au mieux… ; certains secteurs semblent également un peu moins touchés et Aurélie Cheveau, présidente du cru Pouilly-Fuissé, dans le Mâconnais estimait même, après discussion avec ses collègues, que sur le mi-coteau des premiers crus à Pouilly et Fuissé, 20 à 50% des bourgeons n’avaient pas été gelés. L’autre motif d’espoir concerne le pinot noir dans les secteurs tardifs, Côte de Nuits, Hautes-Côtes, Yonne… où l’on espère que les bourgeons dans le coton n’ont pas été trop endommagés. Quant au Beaujolais, les vignes étaient également très avancées en début de semaine ; il y aura des dégâts, mais l’absence d’humidité et des températures moins basses ont sans doute permis de limiter la casse. Il semblerait également que le gamay soit un cépage “généreux” avec des contre-bourgeons plus fructifères qu’en pinot noir.

Le constat sera toutefois très différent et l’espoir plus mince, dans d’autres villages du Mâconnais, mais aussi à Meursault, Puligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet, Saint-Aubin, Volnay, Beaune, Givry, Rully, Montagny, Chablis… où aucun secteur n’a été épargné par cette gelée noire de type hivernal. A Rully, Vincent Dureuil nous confiait même que Varot, un climat d’altitude en Rully village, qui d’ordinaire échappe toujours au gel avait cette fois été dévasté.

 

L’ennemi était trop fort

 

Quant aux systèmes de protection, au célèbre domaine Leflaive, à Puligny-Montrachet on avait investi dans deux éoliennes pour brasser l’air et des bougies de chauffage ; Brice de la Morandière, le régisseur, devait pourtant se résoudre à constater que « dans de telles conditions de froid, de neige, d’humidité, cela n’a pas été suffisant. On a fait beaucoup, mais ce n’était pas encore assez ». Sur ce point, il convient également de préciser que si tout le monde s’était fait surprendre par le gel de 2016, après 25 années sans gelées importante (la dernière remontait à 1991), beaucoup de producteurs ont massivement investi depuis ; le spectacle donné notamment à Puligny-Montrachet jeudi matin, avec les éoliennes, les hélicoptères brassant l’air, les dizaines d’hectares protégés par les bougies pouvait rappeler le film Apocalypse Now. Les Bourguignons ont mis le paquet, mais l’ennemi était trop fort !

 

Mesures d’urgence

 

Dans les instances professionnelles, l’heure est maintenant à la recherche de solutions à court, moyen et long terme. Thiébault Huber, le président de la CAVB (Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne) a rencontré hier matin le préfet de Saône-et-Loire, dans l’après-midi, celui de Côte-d’Or et ce matin, le préfet de l’Yonne. La profession a demandé à l’état des mesures d’urgence : exonération des charges sociales, de la taxe foncière, le prolongement de la durée d’amortissement des PGE (prêts garantis par l’état mis en place dans le cadre de la crise sanitaire) de 5 à 10 ans et des subventions, possibles dans le cadre du plan de calamité agricole annoncé hier 9 avril par l’état, pour perte de fond ; cela concerne les plantes et les vieilles vignes qui ne se remettront pas du gel. « Mais il y a aussi un travail de fond à faire pour fixer un prix plafond aux fermages en cas de gros coup dur de ce type, mais aussi sur les assurances climatiques qui ne sont plus du tout adaptées », explique Thiébault Huber, qui poursuit : « sur le plus long terme, il faut aussi relancer la recherche sur des sélections de cépages, sur des porte-greffes plus tardifs qui débourrent plus tard et seraient ainsi moins exposés au gel, plus résistants aussi à la sécheresse, ainsi que sur des systèmes de protection contre le gel plus efficaces ».

 

Christophe Tupinier